Benoît BILLOT, moine bénédictin : Qu’est-ce que le zen ?

Suite du témoignage de Benoît Billot - son stage en Allemagne auprès d’un maître spirituel - sa découverte de la psychanalyse - Conseils pour entrer dans la prière. (Interview paru dans « Panorama » en décembre 2009, n°460)

Le mot « zen » signifie « méditation ». Comme vous le savez, le bouddhisme est né au VIe siècle avant Jésus-Christ, en Inde, de ce grand génie religieux que fut le Bouddha. Lorsqu’il parvint en Chine, le bouddhisme se confronta avec les traditions locales, particulièrement le taoïsme. C’est de cette rencontre que naquit le zen, une des branches du bouddhisme. Il se caractérise par la « méditation sans objet » : le méditant travaille à rester sans agitation intérieure, sans pensées, dans une sorte d’ouverture maximum à la vie et à la réalité. Dans sa méditation, il ne s’adresse pas à un Dieu, il ne « prie » pas, il se contente d’être là, attentif à tout ce qui pourrait arriver.

On fait « le vide » ?

Oui. Mais entendons-nous sur ce mot. Il ne s’agit pas d’un vide négatif, celui d’une absence, d’une panne psychique, d’une sorte de délaissement pathologique de soi-même. Le méditant est, au contraire, invité à mobiliser toute son attention, à être au maximum présent à lui-même et à son environnement. Afin d’être attentif à une Présence.

Qu’entendez-vous par « Présence » ?

II s’agit de se rendre présent à l’Essentiel, qui prend des formes diverses en fonction de l’enracinement dans une religion particulière. Un bouddhiste peut, dans ce chemin intérieur, se laisser toucher par une Réalité au-delà de toute réalité, une Réalité non-personnelle, qu’il appelle Busho (Nature de Bouddha).
Le chrétien, lui, se tient prêt à accueillir, parfois même à ressentir, la présence du Maître intérieur : le Christ. Cette pratique méditative est donc accessible à tous, même si ce que chacun met derrière le mot de « Présence » ne correspond pas à la même réalité spirituelle, expérimentée.
Comment faire que cette méditation zen, née dans un univers mental très étranger au monothéisme, devienne spécifiquement chrétienne ? Ce fut l’objet d’un petit livre « L’assise en Dieu » . La méditation zazen peut nous apprendre les bases physiques et même psychiques sur lesquelles devrait s’appuyer la prière chrétienne. En particulier, l’attention au souffle. On peut, de plus, greffer sur le souffle le nom de Jésus ou tout autre mot saint. Cette répétition va progressivement unifier le mental, le corporel et le spirituel. Ainsi va-t-on avancer sur le chemin de l’unification intérieure. Ce mot sacré s’implante progressivement à l’intérieur du cœur et « ça » se met à prier tout seul dans les profondeurs de la personne. La « Prière du Cœur » - encore appelée « Prière de Jésus » - que j’ai reçue par la suite, procède des mêmes principes, même si elle est totalement baignée dans une atmosphère christique.

Revenons à votre propre parcours. Après votre séjour au Japon, vous êtes allé passer plusieurs mois en Allemagne, dans la Forêt Noire, chez Graf Durckheim…

À cette époque, je travaillais en paroisse. Et j’étais mal. Un jour, cela m’a sauté aux yeux : je me suis vu vieillir et devenir étriqué, bête…. Je me suis dit : non, maintenant il faut que je fasse quelque chose ! Or, juste à ce moment, une porte s’est ouverte devant moi : suite à une restructuration dans ma communauté, je pouvais demander une année sabbatique sans que cela ne mette les frères en difficulté. Ils ont accepté cette éventualité et je suis donc parti en Allemagne, chez un autre grand, Karlfried Graf Durckheim.
À l’origine professeur de psychologie, cet homme avait vécu sept années au Japon. D’esprit curieux, il s’était fait initier à la philosophie asiatique. Il avait pratiqué la méditation zen et les « arts » qui l’accompagnent. De retour en Europe, il avait pu jeter des ponts entre les sagesses orientales et la culture occidentale, notamment par la psychanalyse. Ses travaux, son enseignement, étaient accompagnés de la méditation profonde et visaient à la transformation de la personne humaine. On accourait de l’Europe entière pour travailler avec lui. Les six mois que j’ai passés à Rütte, à cinquante mètres de son logis, ont donné à ma vie une nouvelle orientation.

Comment définiriez-vous cette démarche ?

Rütte était - est encore - un centre de thérapie initiatique. Il s’agissait, pour chaque patient, de faire émerger les domaines de sa vie qui étaient dans l’ombre et de leur permettre de trouver leur place. Par exemple, les thérapeutes me proposaient, à moi qui suis « masculin », divers moyens pour que je puisse découvrir ma part féminine intérieure et l’honorer. J’ai tenté de décrire cet étonnant processus, mais de façon symbolique, dans un petit livre : « Le chemin de Tobie » . Cependant, il se trouve qu’en route apparaissaient des malformations psychiques ayant souvent des conséquences physiques ; une grande partie du travail était de les intégrer de façon juste et parfois de les soigner. C’est pourquoi je désirais plonger dans la psychanalyse. Je l’ai pu à la fin de l’année sabbatique.

Dans cette relation particulière qui s’établit entre le psychanalyste et le patient, il est possible de faire monter à la conscience des blessures que nous avons oubliées, des déviances familiales dont nous n’avons pas idée. On peut ainsi mieux se comprendre soi-même, savoir pourquoi on réagit de telle ou telle manière. Alors, si on le décide, un travail de libération, long et souvent coûteux, peut s’engager.

Avec, peut-être, le risque de « perdre la foi » ?

La démarche analytique amène à faire la vérité sur soi et donc aussi sur ses croyances. Mes manières de croire sont passées alors par un creuset qui, effectivement, remettait bien des choses en cause. De fausses images de Dieu, des « projections » inconscientes plaquées sur le Christ, sur ma manière d’habiter l’Église, se sont écroulées. L’analyse a donc passé au crible, de façon assez impitoyable, mes croyances. Elle permettait un travail analogue à celui de mes plongées dans les monastères zen. Tout cela, de fait, est un risque, mais aussi une chance pour la foi. Car le croyant doit sans cesse « briser les idoles » qui l’empêchent de marcher vers la Vérité. J’ai vécu mes années d’analyse, puis de psychothérapie, à la fois comme une sorte de dépossession de mes croyances et une ouverture à une foi renouvelée.

Diriez-vous que, à sa manière, la psychanalyse est un chemin d’intériorité ?

Elle peut très bien l’être. Comme la psychothérapie. Cela dépend de l’analyste et de l’analysé, de leur qualité humaine. Elle est, pour beaucoup, une voie de libération. Et la vie chrétienne, pour être féconde, suppose une libération. Libération des formes religieuses reçues dans l’enfance, des atavismes du milieu d’origine, des blocages inconscients qui « nouent » la vie psychique, etc.
Pour « grandir » dans la vie spirituelle, il convient de mieux se connaître et de laisser du « vide » en soi pour les autres et pour l’Autre. La psychanalyse, en tant qu’elle est chemin de sortie de l’illusion, peut donc être une voie féconde pour la vie spirituelle. Mais à condition, cependant, de ne pas tout mélanger : ce qui relève du psychisme d’un côté et ce qui appartient à la vie spirituelle de l’autre. Même s’ils entrent en interaction, le « psy » et le « spi » ne relèvent pas de la même approche.

La grande affaire de la vie spirituelle, c’est l’unification intérieure ?

Nous sommes des êtres « éparpillés » : le travail d’un côté, la vie familiale de l’autre, la vie spirituelle encore ailleurs… Sans parler des multiples tensions qui souvent nous écartèlent. L’unification est en effet l’un des aspects de la vie spirituelle. Certains êtres y arrivent et sont particulièrement lumineux. L’Abbé Pierre, par exemple, aura réussi à unifier en lui deux désirs apparemment contradictoires : la contemplation, qu’il chercha au début chez les Capucins, et la lutte sociale qu’il mena comme député sous la IVe République. Il s’agit de nous unifier autour du point central de notre existence.

Quel est ce point central ?

La Bible nous dit que Dieu a planté sa tente dans le cœur de l’homme. Nous sommes, chacune et chacun d’entre nous, le « temple de l’Esprit ». S’unifier, c’est laisser la parole à cet Autre qui respire en nous. C’est chercher chaque jour davantage à correspondre à ce Désir qui nous travaille, c’est relier toutes nos tendances à ce soleil intérieur. Comme l’enfant à naître « travaille-t-il » le corps et le cœur de sa mère ? Cette image de l’enfantement de Dieu en nous a été utilisée par certains grands, comme Maître Eckart, ou Angélus Silesius. Il y a là bien davantage qu’une simple allégorie poétique. Oui, nous avons à « porter » Dieu en nous, nous avons à le protéger, à le laisser grandir dans le « ventre » de notre cœur ; nous avons aussi à le laisser naître dans nos vies pour mieux l’offrir au monde. La vie spirituelle est une patiente et belle gestation.

Le christianisme est vraiment la religion de « l’incarnation » !

Oui. Nous sommes maintenant dans ce temps si particulier de l’Avent. Trop souvent, on « poétise » et on « spiritualise » Noël à outrance, oubliant la réalité toute humaine - et cependant toute divine ! - de la naissance du Christ. Jésus a habité le corps d’une femme pendant neuf mois, s’est nourri de ce corps, un corps lourd, peut-être douloureux ; il a traversé ce corps pour naître. Et sa naissance ne s’est pas faite dans un monde doucereux et mièvre, mais sur une terre marquée par la violence. Méfions-nous de l’image d’Épinal de la crèche avec le « petit Jésus » et les santons sagement alignés : lorsque l’Évangile écrit que « le Verbe s’est fait chair », il dit que Jésus est venu habiter pleinement notre condition humaine… L’incarnation fut totale. C’est parce qu’il fut pleinement homme que le Christ est le chemin vers le Père.

C’est au cœur de cette condition humaine que nous avons, nous aussi, à faire naître le Christ…

Oui, au cœur de nos vies inévitablement blessées, divisées, au cœur de nos sociétés souvent violentes, au cœur de nos propres désirs contradictoires, au cœur de notre souffle d’homme ou de femme… Pour mettre le Christ au monde, il nous faut oser écouter en nous les battements de son cœur.

C’est la prière qui permet cette « écoute » ?

Dans le « Journal d’un curé de campagne », Bernanos imagine la conversation d’un curé avec son vicaire et lui fait dire en substance - je cite de mémoire - : « En comparaison de toute ton action, ta prière ne pèse pas assez lourd. » Dans notre monde super-technicisé, où les sources de « divertissement », au sens pascalien du terme, sont si fortes, nous n’accordons souvent pas assez de place à la vie spirituelle. Si elle se réduit à l’heure de la messe dominicale, elle ne fait pas le poids ! La prière est l’objet d’un véritable combat spirituel, jamais gagné. Il faut se donner des « résolutions » modestes, à hauteur de ce que nous pourrons tenir. Si possible une demi-heure par jour, à un moment précis de la journée, toujours le même, dans un lieu précis, pour se mettre en présence de la Présence.

Progresse-t-on dans la vie spirituelle ?

Méfions-nous du concept de « progrès » dans la vie spirituelle. Saint Benoît avait coutume de dire à ses moines que, pour monter l’échelle qui va au ciel, il convient de descendre, barreau après barreau, l’échelle de l’humilité. Le « progrès » dans la vie spirituelle consiste à se désencombrer, à marcher vers la simplification et la pauvreté du cœur.

Oser reconnaître que, plus nous avançons, moins nous « savons » qui est Dieu ?

Nous souffrons peut-être actuellement, dans l’Église, d’un excès d’affirmation. On nous dit « Dieu est ceci, Dieu veut cela. » Mais qu’en savons-nous ? Je me méfie un peu des prédications trop fortes, trop brillantes, trop affirmatives. Être chrétien ne consiste pas simplement à adhérer à un credo et à des dogmes. La voie chrétienne est un chemin personnel, une rencontre intime avec le Christ. Or, trop d’affirmations et de certitudes ralentissent ce cheminement. La vie spirituelle suppose le questionnement, voire même le doute. Le Père André Louf, ermite cistercien, a coutume de dire, dans une formule un peu provocante, que les moines doivent être des experts en athéisme ! La vie spirituelle suppose que nous acceptions de nous dénuder de toutes nos certitudes sur Dieu. Ne pas trop parler « sur » Dieu, beaucoup se taire pour tenter de l’écouter. Le Christ ne naîtra dans nos existences que si nous nous débarrassons de notre trop-plein de certitudes. Redoutons d’être comme cette « auberge » archicomble où il n’y avait pas de place pour lui. Seule la « crèche » de notre humilité pourra accueillir sa naissance.

2e partie de l’interview paru dans « Panorama »
(décembre 2009, n°460)

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