Il y a les musulmans, l’islam et moi, et j’aimerais ne pas tout mélanger,
mais rien de ce qui m’entoure ne contribue à me soutenir dans cette ambition. Tout pousse à l’amalgame, au brouillage, au dérapage. Les instincts de survie dans ces cas-là sont redoutables : défendre son groupe, sa communauté d’origine coûte que coûte. Ressurgit alors le réflexe identitaire, et c’est précisément cette vieille réaction, la plus humainement grégaire, que je veux tenir loin de moi, à distance.
Car mon sentiment de Dieu, je voulais le nourrir du Coran non pas parce qu’il était le livre des Arabes et que j’étais arabe, non plus parce que les Arabes sont supérieurs aux autres… et que les Arabes sont offensés et qu’il faut être solidaire… etc., etc., mais je voulais le nourrir de mon livre du Coran parce que j’y suis née et que ses versets ont le goût frais de mon berceau.
Karima Berger a donné son témoignage dans le cadre des « Itinéraires Spirituels » à Paris, le 19 décembre 2010.
→ A ECOUTER Karima Berger : Je ne reconnaissais plus mon islam … |
Éclats, grondements, orages, tout cela qui se fait entendre du plus lointain horizon et me tourmente s’est rapproché peu à peu et de plus en plus. Ces bruits extérieurs se sont mis à résonner en moi. Mais la réalité du cheminement que je vais retracer ici est mouvante, elle n’est pas seulement un écho ou une réponse à ces bruits, elle emprunte une route qui veut les oublier en renouant avec mon intériorité la plus profonde, cette interpellation de ce qu’est l’islam pour moi. C’est le sujet de ce livre.
Karima Berger, « Eclats d’islam », p. 19
L’islam est habillé pour l’hiver, un hiver glacé de guerre.
C’est maintenant un automatisme : il est présumé coupable, image insidieuse installée dans les têtes et qui fonctionne comme un réflexe.
Cette religion est contrainte de se justifier et, de plus, de ne répondre que d’une seule voix, car l’islam c’est « ils », tout en bloc, pas de diversité, elle n’est ni admise ni même entendue. Pas de différence entre les Qataris, les Indonésiens, les Algériens, les Egyptiens… pas de différence entre les fondamentalistes, les musulmans, les terroristes et les autres… tous pareils. Edward Saïd : « Quand on parle de l’islam, on élimine plus ou moins automatiquement l’espace et le temps. »
L’islam (les islams ?), c’est plus d’un milliard d’individus, des dizaines de pays dans le monde, des langues, des civilisations et des cultures différentes porteuses de traditions singulières (souvent d’ailleurs pérennisées au nom de l’islam alors qu’elles ne sont nullement prescrites par le dogme, tels la circoncision, l’excision, l’endogamie, le mariage forcé ou encore le statut de la femme comme mineure à vie). Cette religion est sommée de se fondre, de s’assimiler selon la bonne méthode assimilationniste tentée pendant la colonisation, et pour tout dire de cesser de faire parler d’elle. Et pour que le mouvement soit plus efficace encore, on l’essentialise, on la fixe, on la fige, on la bétonne, on l’enterre, c’est pernicieux et c’est un renversement de la charge de la preuve. Le soupçon est croissant et le dénigrement systématique.
Karima Berger, « Eclats d’islam », p. 84
Extrait d’une interview donnée par Karima Berger à la revue PANORAMA (juillet-août 2014)
Je suis née en Algérie dans une petite ville sur le littoral, près d’Oran. Jusqu’à l’âge de 11 ans, j’ai vécu à Médéa, non loin de Tibhirine. Avec mes parents, on allait d’ailleurs souvent pique-niquer dans le jardin du monastère de Notre-Dame de l’Atlas [où vécurent les sept moines trappistes assassinés en 1996. Ndlr].
Je suis ensuite partie à Alger, où j’ai fait des études de droit et de sciences politiques. Et en 1975, je suis venue en France pour faire une thèse de doctorat. Berger, c’est le pseudonyme que j’utilise comme écrivain, dérivé de mon nom de femme mariée. Quand je me suis mise à écrire, je n’avais pas envie de signer de mon nom de jeune fille ou d’un nom arabe, parce que je voulais garder cette identité double, qui fait vraiment partie de mon ADN.
D’emblée, à ma naissance, j’ai été jetée dans une culture double, une langue double, l’arabe et le français ; même si le français, c’était la langue de la colonisation, dominatrice, qui me privait, d’une certaine façon, de ma langue arabe. Dès mon plus jeune âge, cela a été une douleur, pour moi, de ne pas pouvoir lire le Coran en arabe