Fabrice Hadjadj, Dieu est l’inattendu … ( 1 / 3 )

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II y a huit ans, il a demandé le baptême. Pourtant, son éducation ne le prédisposait pas à embrasser la foi des chrétiens. (Interview paru dans la Revue « Panorama » en janvier 2007. Il est interrogé par Frédéric Mounier.)

Jeune philosophe, essayiste, dramaturge, enseignant, Fabrice Hadjadj est assurément doué.
Son livre « Réussir sa mort, anti-méthode pour vivre » (Presses de la Renaissance), a obtenu le Grand Prix catholique de littérature, décerné par l’Association des écrivains catholiques de langue française. Juif de nom arabe, converti au catholicisme, il développe une pensée exigeante, attentive à tous les défis contemporains.

Fabrice Hadjadj vit en Provence, sous le soleil. À l’ombre d’un platane séculaire, sur la placette d’un village varois, l’ancien presbytère, où il abrite sa nombreuse famille, accueille une invasion de livres. Pas de télévision, mais un vidéo projecteur indispensable à ce passionné de cinéma.

Chez lui, les choses de l’esprit voisinent avec les signes de Dieu : icônes, crucifix… Mais ce croyant qui aime bien vivre sait accueillir : sous la treille, face au vallon où court un pont romain, un vin blanc bien frais attend le visiteur…

Frédéric Mounier : Vous êtes d’origine juive. II y a huit ans, vous avez demandé le baptême…

Fabrice Hadjadj : C’est plutôt le baptême qui m’a demandé. Soudain, la Bonne Nouvelle s’est découverte.

Pourtant, votre éducation ne vous prédisposait pas à embrasser la foi des chrétiens.

Pas vraiment ! Je suis né en 1971… Un fils de mai 1968, en quelque sorte ! Mes parents, juifs de Tunisie, peu pratiquants, étaient des militants d’extrême gauche : si « maoïstes » que, le jour de leur mariage, ils sont sortis de la mairie sous une haie d’honneur de « petits livres rouges » !
J’ai grandi en écoutant les chants de la Commune de Paris. Mes yeux d’enfant se sont ouverts sur des bibliothèques multicolores de livres marxistes : Gramsci, Franz Fanon, Althusser…

Comment viviez-vous votre judéité ?

Notre judéité était liée à la mémoire des ancêtres, mais aussi à une réaction face à l’antisémitisme. Nous ne respections pas le repos du shabbath, nous aimions la charcuterie, mais nous célébrions Pessah (Pâques) et Kippour (le Grand Pardon).
Pour ma part, je n’ai pas été circoncis : au huitième jour, le rabbin m’aurait déclaré impur parce que j’avais un érythème. Mes parents n’eurent pas le courage de revenir…
En CM1, j’avais un ami juif pratiquant. Je l’enviais beaucoup : il se levait tôt le matin, tourné vers le Levant, la main droite sur les yeux, et récitait le Shema Israël (« Ecoute, Israël »). Mais la Bar Mitsvah [qui a lieu à treize ans et un jour, date de la majorité religieuse dans le judaïsme pour les garçons, Ndlr], signifiait pour moi la circoncision en pleine adolescence. Difficile à accepter…

Vous arrivait-il de prier ?

Je ne priais pas. Mais j’aimais entendre mon père chanter le récit de l’Exode, le soir de la Pâque. À l’âge de cinq ans, je crois, j’ai été saisi par la gratuité de l’existence. Aujourd’hui, je dirais que, simultanément à l’éveil de ma raison, j’ai vu les choses comme données, jaillissant hors du néant Dans notre petit jardin de Puteaux, en banlieue parisienne, il suffisait d’un rien : un brin d’herbe, un gravier, notre chienne Nouchka… Je devinais un mystère. Enfin, tous les enfants sont des contemplatifs. Puis vient l’adolescence avec ses préoccupations affectives, l’âge adulte avec ses préoccupations utilitaires… et l’on oublie ce que l’enfant pressentait, on ne sait plus regarder les choses pour elles-mêmes.

Tout petit, déjà, la plume vous tarabustait ?

Dès que j’ai su former des lettres, j’ai commencé à écrire des poèmes. Mon père, en vrai juif, a toujours manifesté une vénération pour l’étude. Il m’encourageait. II me faisait recopier des pages des romans de province de Marcel Aymé. Je me souviens d’avoir écrit avec lui mes premiers vers, sur une fleur. Une rose, si je me souviens bien…

Votre quête spirituelle a pu s’exercer, aussi, hors de France ?

Mon père devint diplomate. Durant mon adolescence nous l’avons suivi en Haïti, au Bénin, à Djibouti. En Haïti j’ai appris le créole, fait connaissance avec cette culture onirique, en perpétuelle communication avec les esprits. Au Bénin, le « Quartier latin de l’Afrique », je rencontrai des poètes marqués par leur religion ancestrale, tellurique et païenne. Ces contacts renforçaient ma recherche d’une expérience mystique. J’ai même pensé, à dix-sept ans, me faire initier au vaudou. Mais je confondais transe et oraison, extase sexuelle et extase spirituelle.

Vous étiez donc une graine d’intellectuel athée ?

De retour à Paris, j’étais athée, très antichrétien, de façon assez classique pour un juif de gauche. Le bachotage en « Maths Sup » ne m’allait pas du tout J’ai donc poursuivi par « Sciences Po », puis par la philosophie à la Sorbonne. l’époque, je lisais Nietzsche et Georges Bataille comme parole d’Évangile. Je ne croyais certes pas en l’infaillibi­lité pontificale, mais pour l’infaillibilité nietzschéenne, j’aurais mis ma tête sur le billot. J’étais, au fond, dans la crédulité de l’athéisme.

Avec le recul, je me dis que l’incroyance absolue n’existe pas. Il y a toujours une confiance initiale dans une parole. Il suffit de voir les tenants de l’« athéologie », type Michel Onfray : ils prennent de véritables postures de prédicateurs puritains et moralistes, proférant des anathèmes, des excommuni­cations, promettant à leurs hérétiques, c’est-à-dire ceux qui ne pensent pas comme eux, un nouveau bûcher.

Étiez-vous heureux ?

Je jouissais de mon pessimisme. Je me représentais la pro­chaine extinction de l’espèce comme une chance. Ce goût du morbide est le luxe d’une vitalité adolescente. Mais il est déloyal car je prenais plaisir à écrire des choses sombres, genre Céline : « L’amour, c’est l’infini à la portée des cani­ches. » Mais, dans la vie, j’étais romantique et douillet Je disais que l’homme n’était rien, mais je me prenais pour quelque chose. Au moindre bobo, j’avais le sentiment de vivre un désastre total.

Quelque chose en vous doutait de votre doute…

En fait, je ne savais pas encore que je sciais la branche sur laquelle j’étais assis, que notre cœur est fait pour la vérité et non pour l’illusion de la perpétuelle désillusion. L’es­pèce humaine était pour moi une espèce finie. Je voyais le totalitarisme génétique cherchant à « pacifier » l’homme. Contre lui, j’affirmais que la chair dans sa détresse a une valeur, que le corps, tel qu’il est donné, est un lieu de résis­tance. Cela me prédisposait à approcher l’Incarnation.

Comment ?

C’est à travers Marie que j’ai rencontré le Christ, non comme un personnage, mais une personne bien vivante. Dans l’église Saint-Séverin, je m’étais moqué (c’est la faute à Voltaire !), des ex-voto qui entouraient une sta­tue de Notre-Dame du Bon Secours : « Succès à l’exa­men », « Merci pour mon permis de conduire »…
Une semaine plus tard, mon père avait un malaise, ma famille était bouleversée, nous avions peur qu’il meure. J’ai alors couru vers Saint-Séverin et j’ai prié cette Vierge dont je m’étais moqué… pour mon père juif ! Une sorte de paix ’ est entrée en moi. Comme jamais je n’en avais éprouvée. Je me suis intimement senti « à ma place » : un petit enfant qui fait l’aveu de sa faiblesse, et qui prie pour ses parents. C’était ma place, alors que je jouais au rebelle et m’intéressais bien peu à mes vieux !

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Véronique est une comédienne qui préparait une pièce (Pasiphaé) avec Fabrice Hadjaj. Elle ne voulait pas aller à la messe avant la représentation. Elle y est allée sur l’insistance de Fabrice et a été saisie par le Christ dès qu’elle entrée dans l’église.