Fr. Varillon : La puissance de Dieu est la puissance de l’amour

L’affirmation d’une toute-puissance de Dieu est le motif le plus sérieux de ne pas croire.

Nous, chrétiens, affirmons-nous tranquillement, comme si cela allait de soi, que Dieu est tout-puissant, ou, au contraire, éprouvons-nous un malaise en prononçant ces mots ? Je pense que, pour beaucoup, cela ne souffre pas difficulté : en effet, si Dieu est Dieu, on voit mal comment il ne serait pas tout-puissant. Pour d’autres, cependant, de plus en plus nombreux en cette période de crise que nous traversons, l’affirmation d’une toute-puissance de Dieu est le motif le plus sérieux de ne pas croire.

Gardons-nous de prendre à la légère la position de ces hommes : au fond, ils jugent plus digne de l’homme, par conséquent plus vrai, de préférer un ciel vide au fantasme d’un Empereur du monde, potentat, despote, dramaturge suprême qui manœuvre les marionnettes de la tragi-comédie humaine en figeant, en pétrifiant ou en court-circuitant les libertés que, par ailleurs, il est censé créer. Il y a, je le veux bien, des athées qui sont athées, parce que le concept d’Absolu ou de Transcendant leur paraît contradictoire.

Mais je pense que les athées les plus nombreux sont ceux qui refusent une toute-puissance qui serait négatrice ou destructrice de notre liberté. De toutes les flèches qui visent la foi chrétienne ou même le déisme, celle qui prétend atteindre Dieu en sa toute-puissance fait le plus sûrement mouche. (…)

Croire à la toute-puissance de Dieu, croire que Dieu est tout-puissant, sans croire en lui, rien de tel pour fausser la vie religieuse à la racine. Rien de tel pour engendrer une mentalité magique. L’histoire des religions montre que la mentalité et les pratiques magiques ont foisonné dans l’histoire et foisonnent encore de nos jours, même en milieu chrétien, en dépit de la bienséance ecclésiale du vocabulaire. Il ne faut pas être dupe des mots.

Ce qui joue trop souvent à l’égard de Dieu, c’est l’intérêt et la peur. C’est l’intérêt qui commande qu’on cherche à utiliser la toute-puissance à son bénéfice ; et c’est la peur qui exige qu’on trouve les moyens de se préserver du danger qu’elle recèle. Tout cela n’a rien à voir avec la foi. C’est de la magie. Si l’on pouvait psychanalyser ce qu’il y a dans l’esprit d’un certain nombre de chrétiens mal éduqués, on s’apercevrait qu’ils se disent tout bas :
« Qu’est-ce que Dieu mijote là-haut dans son ciel ? Qu’est-ce qu’il me prépare ? Du bonheur ou du malheur ? De la santé ou de la maladie ? Du succès ou de l’échec ? Par intérêt et par peur, je vais donc le prier de ne rien mijoter de désagréable pour moi. »

Jusqu’au jour où la tentation surgit d’exorciser radicalement la menace en disant tout simplement : il n’y a pas de Dieu tout-puissant. C’est alors l’athéisme qui apparaît à la conscience adulte comme l’attitude la plus rationnelle. Ce qui n’est pas absolument faux. Seulement n’oublions pas le mot de Pascal :
« Athéisme, marque de force d’esprit, mais jusqu’à un certain degré seulement. »

Car, sous le ciel devenu désert, vidé d’un tout-puissant suprême, d’autres puissances prennent naissance et prolifèrent, des puissances qu’on ne craindra pas d’absolutiser allègrement sur tous les plans de la vie individuelle et collective. Ces puissances, nous les connaissons bien : argent, sexe, race, parti, etc.
Rien de plus sacral qu’un monde prétendument désacralisé. (p. 135)

François Varillon, extraits de ses conférences
cf « Joie de croire, joie de vivre », p. 133

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