« J’ai peu à peu découvert que ce Dieu m’aimait »

« Ce qu’il y a d’extraordinaire dans l’homme, c’est qu’on voit furtivement la présence de Dieu dans un visage. Je n’avais jamais imaginé que cela soit possible. »

Comment un journaliste renommé de la télévision en arrive-t-il un jour à venir presque timidement témoigner de sa foi sur la modeste estrade d’un rassemblement diocésain ? Que vous est-il arrivé ?

Emmanuel de La Taille :
Pendant plus de trente ans, j’ai vécu totalement en dehors de la foi et de l’Église. J’étais marqué par l’image d’un Dieu janséniste et stalinien. Un Dieu en perpétuel procès de suspicion de l’homme, en perpétuelle menace de punition et d’interdit. Comme j’étais divorcé et, qui plus est remarié, je m’estimais en outre irrémédiablement grillé dans l’Église. Je n’étais ni hostile ni totalement indifférent aux interrogations religieuses. J’étais simplement ailleurs, totalement pris par le monde et les satisfactions terrestres. J’ai adoré ce monde. J’y ai trouvé des plaisirs nombreux et des détresses non moins nombreuses. Et un jour je me suis aperçu qu’en fait, tout cela était un alibi, que ce n’était pas tant Dieu mais moi qui fermais la porte. Je me barricadais.

Que s’est-il alors passé dans votre vie ? La foi vous est-elle « tombée dessus », comme cela, tout à coup ?

Je crois que j’ai eu progressivement, au travers du brouillard, la révélation du mystère. Je me suis peu à peu aperçu que j’étais sur la terre, que c’était une aventure incroyable et que derrière le banal du quotidien, il y avait quelque chose, quelqu’un que je sentais présent. Dieu était, présent autour de moi et en moi, dans mon propre brouillard, au fond de moi. Et j’ai peu à peu découvert que ce Dieu m’aimait. Cela peu paraître totalement banal mais j’ai vécu cela comme une révolution fantastique.

C’est comme si j’avais découvert la formule du monde, comme d’autres découvrent la formule de la réaction atomique ou de l’enchaînement cellulaire. J’avais découvert que Dieu m’aimait et que cela transfigurait totalement ma vision. Je venais en fait d’arriver face à un autre univers. […]

En mai 1986, un missionnaire avec lequel j’étais en relation m’a dit : vous ne voyez donc pas que vous êtes prêt ? J’ai d’abord résisté et puis j’ai accepté de recevoir l’absolution de ce vieux baroudeur qui avait passé vingt-cinq ans de sa vie en Amazonie. Tout un symbole ! Après, je suis allé dans une église et j’ai assisté au moment où les chrétiens se donnent mutuellement la paix du Christ. Ma première réaction a été la terreur. Je me suis aperçu que j’étais paralysé à l’idée de serrer la main de mon voisin. Et puis, j’ai été bouleversé par son visage. Une espèce d’étincelle.

Ce qu’il y a d’extraordinaire dans l’homme, c’est qu’on voit furtivement la présence de Dieu dans un visage. Je n’avais jamais imaginé que cela soit possible. J’ai alors pensé que ce minuscule contact était la première phase des réactions en chaîne qui mènent au Royaume et à la transformation de l’être et du monde. J’ai alors changé ma vie. Durement, parce que j’étais une sorte de drogué des plaisirs de ce monde et du stress.

Parlez-moi de cette foi en Dieu qui aujourd’hui vous habite.

Pour moi, la foi peut être symbolisée par une étoile à quatre branches.

  • La première branche, c’est la liberté. Bien loin de contraindre, la foi suppose la liberté, car il n’y a pas d’amour sans liberté totale.
  • La seconde, c’est l’individualité. L’amour de Dieu suppose que chaque être soit unique. Je ne peux pas être aimé si je ne suis pas le seul à être celui que je suis.
  • Troisième branche de l’étoile : la joie. Le vrai projet de Dieu, " c’est le bonheur. J’avais toujours pensé Dieu dans un univers de menace, de colère, de condamnation et de damnation et j’entrevois aujourd’hui le royaume de la joie.
  • Dernière branche enfin : le partenariat. J’ai entrevu que nous sommes dans un univers en création, que moi, individu comme les autres, je suis un élément de cette création. Et que cette création se fait en partenariat avec Dieu.

Ce Dieu, lui parlez-vous, le priez-vous ?

Pour se guider dans ce brouillard, il faut une antenne. Et la prière-écoute est pour moi cette antenne. Le plus dur est de ne rien faire, de ne rien dire et d’attendre la minute de silence-radio de Dieu. Vous savez cette minute où l’on arrête toutes les communications radio pour entendre les SOS. Une minute qui est au fond la minute de la détresse de Dieu. Car Dieu a besoin de moi pour être tout à fait lui-même. Et la mobilisation de l’attention humaine est certainement la chose la plus difficile pour Dieu. Car tout est fait pour qu’il y ait un brouillage permanent sur la ligne entre lui et l’homme.

La prière, pour moi, c’est quelques secondes d’arrêt dans l’escalier, dans le métro, n’importe où ; c’est la messe du dimanche où je vais en tâtonnant, en cherchant à comprendre ce qui s’y passe ; c’est aussi ces chapelles où j’entre parfois dans la journée. J’ai l’impression que Dieu est seul et qu’il m’attend.

(Interview d’Emmanuel de la Taille, recueillie par Bertrand Révillon et publiée dans le journal La Croix le 17 juin 1991)

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