Aujourd’hui, l’évolution biologique, le fait que les êtres vivants dérivent les uns des autres en vertu de transformations progressives, est un processus considéré comme démontré. Cela, bien entendu, ne signifie pas que nous savons tout, que tout est compris.
Si l’on sait assez bien comment on passe d’une espèce à une autre, grâce notamment aux expériences réalisées sur la mouche du vinaigre, appelée en langue savante drosophile, on comprend en revanche beaucoup plus mal comment on passe des reptiles (crocodiles, tortues) aux oiseaux ou des oiseaux aux mammifères, et quels sont les mécanismes de ces évolutions « géantes ».
« L’apparition de l’homme reste
par ailleurs encore inexpliquée
Si l’homme descend incontestablement d’un australopithèque, son ancêtre commun avec les grands singes, il est établi que son fonctionnement cérébral n’a rien à voir avec celui d’un singe. L’homme est un animal pensant, et ce dernier vocable suffit à marquer sa différence. Selon quels mécanismes son cerveau a-t-il vu son volume multiplié par trois en un million d’années, processus sans équivalent dans l’évolution biologique ? Nul n’a d’explication convaincante. La théorie qui soutient que la station bipède aurait suffi pour développer le cerveau me paraît au mieux une hypothèse, mais sûrement pas une explication causale.
En revanche, la question, longtemps débattue, du polygénisme, de l’apparition d’hommes en différents lieux de la planète, développée à partir de préjugés racistes, est totalement abandonnée. Elle n’a pas survécu aux développements de la génétique : l’espèce humaine a émergé en un seul endroit au cours d’un même processus, sans doute en Afrique. Et à partir de là l’homme a conquis la planète, franchissant les déserts, les montagnes, les isthmes, les mers, les océans. À cet égard, les croyants peuvent trouver là un certain réconfort. Il y a sans doute eu un (ou quelques) Adam et une (ou quelques) Eve quelque part dans les paysages volcaniques et lacustres du rift africain.
L’apparition de la vie, un mystère entier
Quant à l’apparition de la vie elle-même, le mystère reste entier. Certes, toutes les épreuves paléontologiques et géochimiques convergent aujourd’hui pour dire que la vie est apparue sur Terre très tôt, il y a 3,8 ou même 4 milliards d’années, mais on ne sait pas bien comment. Lorsque Stanley Miller, à partir d’une idée du Soviétique Oparine, synthétise les acides aminés in vitro en 1953. on est convaincu qu’en quelques années on parviendra à fabriquer du vivant ou du presque vivant.
Lorsque j’ai rencontré Stanley Miller pour la première fois vingt ans plus tard, il m’a expliqué sa grande déception. Et son association avec le grand chimiste anglais Leslie Orgel n’a rien changé : quarante ans plus tard, on n’est guère plus avancé. La percée la plus spectaculaire est sans nul doute la duplication in vitro d’un brin d’ADN par Karlin. Mullis, mais cette prouesse n a pas levé le voile sur la fabrication de l’ADN elle-même puisqu’on est parti d’un brin déjà synthétisé par le vivant. Je sais que de nombreux chimistes de grand talent travaillent aujourd’hui sur de nouvelles pistes, à l’aide de concepts nouveaux, comme ceux d’auto-organisation, d’autocatalyse enzymatique, etc., mais force est de reconnaître l’état des lieux :on ne sait pas reproduire la vie en laboratoire. Ni de près, ni de loin.
(Claude Allègre, Dieu face à la Science, p 164)