L’islam rappelle la France à son histoire religieuse

Karima Berger « Eclats d'islam » Albin Michel

« Dis : Tu n’es que Rappel » ,
entend le prophète Mohammed. Et si l’islam, cette religion qui fait soudain intrusion dans l’ordre monothéiste mais aussi aujourd’hui dans l’ordre européen et français, faisait peur, ou simplement dérangeait, parce que l’islam rappelle, rappelle l’ordre antérieur et les religions précédentes ? Parce qu’il rappelle la France à son histoire religieuse, à son long combat entre clercs et laïcs et à ses racines chrétiennes ? Une histoire que l’on a crue résolue au fur et à mesure que déclinait l’importance du christianisme, que se vidaient les églises et que triomphait la laïcité.

L’aridité spirituelle de notre société, l’absence d’ambition de l’homme quant à son devenir, la disparition d’un désir d’être autre que celui de l’être consommateur peuvent pour un Oriental être très troublantes. De même que l’annulation dans le discours quotidien de toute référence à l’eschatologie, le Inch Allah qui ponctue le désir du musulman n’est pas qu’une formule convenue ou de circonstance, il ouvre à chaque fois la porte d’un mystère, qui sait ? Si Dieu veut… que nous soyons encore vivants demain… […]

Mais alors nous, musulmans, pourquoi sommes-nous si inquiets sur notre sort, comme si notre survie était en jeu, pourquoi craint-on si violemment ces caricatures de notre Prophète ou de nos textes ? La surreprésentation publique du religieux dans les sociétés d’islam, mise en scène par les politiques d’aujourd’hui en mal de légitimité, ne suffit pas à ne pas craindre le pire. Cette peur, au fond, n’est-ce pas un cri de désespoir, parce que sous nos yeux, en terre d’islam, s’opérerait aussi, comme cela s’est passé en Occident, ce mouvement inéluctable de sécularisation ? […]

Cette peur, n’est-ce pas la crainte qu’il nous arrive la même chose, cette lente agonie du divin, cette lente tragédie ? Allons-nous être contraints de boire nous aussi à la même coupe vide, désespérément vide, et nous, arides, secs, sans lien ni entre nous ni avec Dieu ? Nos colères s’abreuvent peut-être de cette même désolation.

Karima Berger, « Eclats d’islam », p. 27-28

Le voile caché de l’homme

Et si un voile enveloppait aussi l’homme arabe ?… Un voile qui ne se verrait pas, un voile que démentirait un comportement autoritaire et viril tout en affichage de signes mâles conformes à la légende. Il porterait un voile, invisible, car il sait donner le change tant il redoute de laisser découvrir son intimité. Et s’il fallait là encore déplacer le regard et lire dans la posture virile et autoritaire les marques d’un voilement dont il faut se demander ce qu’il dissimule ? Il m’arrive parfois d’éprouver une sorte de compassion pour cet homme qui, hors de ses frères, se retrouve exilé dans ce champ féminin qu’est sa maison, son intérieur, son harem.

Karima Berger a donné son témoignage dans le cadre des « Itinéraires Spirituels » à Paris, le 19 décembre 2010 : extrait de ce témoignage.

Pour connaître les « Itinéraires Spirituels »

Harem  : royaume exclusif du féminin et de l’enfance. Les hommes de ma famille, au seuil des espaces féminins de la maison, s’annoncent par le son d’une toux mâle et sévère afin que les femmes se couvrent et n’attisent pas le feu que leurs voix, leurs chevelures, leurs jambes, leurs rires peuvent provoquer. Ce signal, a priori d’affirmation virile, signifie pourtant que l’homme n’entre pas vraiment chez lui, c’est comme s’il devait frapper à la porte de sa propre maison.

Dans ma famille, nous étions quatre filles ; pour mon père, c’était une bombe à retardement, disait-il, il ne savait pas quand et d’où surgirait la catastrophe, un viol, un bâtard, un crime… La maison qu’il avait soigneusement choisie, au fond d’une impasse, avec des murs hauts comme des murailles, ne suffisait pas à le rassurer : ses filles, sa femme pouvaient être prises pour cible… nous étions son souci, son poison, on pouvait être sa ruine… Il nous faisait longer les murs, contourner l’avenue principale de la ville que les « rats » (comme il les appelait) occupaient, alignés debout contre les murs, attendant des heures leurs proies vivantes sortant du lycée ; il nous faisait attacher nos cheveux, couvrir nos bras, les ourlets étaient sa hantise…

Karima Berger, « Eclats d’islam », p. 175

La prière d’une musulmane

« Lire le Coran, pour moi, c’est une forme de prière, puisque c’est la parole de Dieu, la parole qui est descendue, la parole sacrée. C’est pour moi un acte de profonde piété, mon âme se met en mouvement. Je ne lis pas le Coran de façon distraite ; quand je le lis, je suis en état de prière. Je le lis en français et en arabe, dans une version bilingue. Je lis toutes les traductions, c’est autant de façons d’approcher le vrai sens - si on peut s’approcher du vrai sens du Coran, puisqu’on dit qu’il est intraduisible. Quand je m’adresse à mon Dieu, je lui parle en français et à chaque fois je me dis : c’est en arabe qu’il faudrait que je lui parle ! Il y a une sorte de parasitage de la langue. Je relis les versets, je m’en imprègne, je m’en imbibe, je les savoure. Il y a une prière que je dis plusieurs fois par jour : c’est la Fatiha, l’ouverture, la première sourate du Coran qui est un peu l’équivalent du Notre Père. C’est une très belle prière qui vous ouvre le cœur et l’esprit » (Extrait d’une interview donnée par Karima Berger à la revue PANORAMA - juillet-août 2014)

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