La croissance continue aboutit à une impasse

Entretien ave Bernard Saugier, spécialiste de l’écologie … (art. de La Croix 19/5/2009)

Face aux multiples dangers écologiques qui menacent notre planète, il semble que les cris d’alarme des scientifiques ne changent pas grand-chose et que les populations ne modifient guère leurs comportements.
Comment expliquez-vous une telle inconscience collective ?

Bernard Saugier :
II y a toujours un décalage entre une prise de conscience scientifique et une décision politique. Mais, de manière générale, ce décalage tend à diminuer. Ainsi, on considère que c’est en 1995 que les scientifiques, dans leur majorité, ont été acquis au constat que les activités humaines sont responsables des effets de serre additionnels et donc du réchauffement climatique.
Or, dès décembre 1997, le protocole de Kyoto était proposé, et en février 2005 il était ratifié par l’ensemble des pays industrialisés, à l’exception des Etats-Unis. Il vise à réduire de 5,5 % l’émission de gaz à effet de serre de ces pays à échéance de 2010 (par rapport à 1990). Les enjeux sont considérables, les pays signataires subissant des pénalités si leurs émissions dépassent une valeur maximale, calculée chaque année par pays, à partir du nombre de voitures, d’usines, etc.

Et pour les pays non signataires ?

Bernard Saugier : D’autres négociations sont à envisager pour les pays émergents comme la Chine et l’Inde, puisque c’est à l’échelle planétaire que nos émissions doivent diminuer. Du fait des mécanismes d’échanges de droit à polluer entre États, les Européens pourront, par exemple, aider une usine en Chine à diminuer ses émissions de gaz et soustraire cette diminution de leurs propres émissions.

Beauté de la montagne

N’avez-vous pas l’impression d’une lenteur à se mobiliser sur ce problème, alors même que les dangers sont imminents ?

Bernard Saugier : L’opinion publique est, je pense, largement informée et acquise : elle a compris que l’on est désormais entré dans une ère où les énergies seront rares et chères, et accepte les normes imposées dans l’isolation des maisons ou dans la construction automobile. Mais on vend toujours des 4x4 (consommant plus de 12 l aux 100km !) et peu de politiques à travers le monde ont osé obliger les populations à réduire leur consommation d’hydrocarbures, tant individuellement que collectivement. Quand on sait qu’un aller-retour en avion Paris-New York, par exemple, représente pour chaque passager à peu près l’équivalent d’un an d’émission de C02 d’une consommation d’essence en voiture, il serait intéressant de s’interroger sur la pertinence de certains déplacements. Malheureusement, le transport aérien (qui représente 2,5 % des émissions mondiales et croît de 5 % par an) est absent du protocole de Kyoto.

Vous avez participé, dans les années 1990, au programme international géosphère-biosphère (PIGB) qui cherche à comprendre les interactions entre la géosphère et la biosphère pour prédire les conséquences des activités humaines sur l’environnement global. Quelles leçons peut-on en tirer ?

Bernard Saugier :Parce qu’on a aujourd’hui une vision globale des conséquences de nos activités humaines au niveau planétaire, on peut faire des scénarios précis en fonction des politiques mises en place. Mais des politiques de restriction ne seront acceptées que si nos mentalités évoluent parce que nous sommes convaincus de l’urgence. En commençant par éduquer les enfants. Il existe en Europe des programmes reliant des écoles à des chercheurs, permettant à des classes entières de se mobiliser. En France, peut-être manque-t-on de personnalités charismatiques pour faire bouger les mentalités.

Les chrétiens en tant que tels devraient-ils s’engager plus dans ce domaine ?

Bernard Saugier : La foi chrétienne rappelle que le futur n’est pas déterminé et que l’homme, parce qu’il jouit d’une liberté fondamentale, peut le façonner pour rendre sa vie plus agréable. Nul aujourd’hui ne peut prédire ce que sera notre vie dans les cinquante années à venir, mais il est certain que nous serons dans l’impossibilité de poursuivre, sur le plan mondial, une telle exploitation non raisonnée des énergies fossiles et des matières premières, et une telle production exponentielle de déchets.

Une nature à préserver

L’évolution des activités humaines se trouve déjà radicalement remise en cause et il faudra bien sortir de l’idéologie de croissance continue qui aboutit à une impasse. En ce sens, les chrétiens pourraient davantage réfléchir et poser des actes concrets pour contribuer à freiner la course à la consommation, à recycler les déchets…

Il s’agit de valoriser l’homme autrement que comme machine à produire et à consommer…

L’humanité est à un tournant de son histoire et de ses valeurs, un peu comme elle l’était à la Renaissance. Et le rôle de l’Église devrait être capital pour aider à trouver une nouvelle échelle des valeurs, où la personne humaine soit respectée dans sa vérité, sa profondeur, sa richesse, une fois que ses besoins élémentaires sont satisfaits. Ce n’est qu’à cette condition d’un tournant réussi que l’espèce humaine survivra.

Recueilli par Claire Lesegrétain

Bernard Saugier Professeur émérite d’écologie végétale à l’université d’Orsay, coauteur de « L’univers n’est pas sourd » (11 Bayard. 390 p.. 23 €.)

Dans la même rubrique…

Mots-clés

Articles liés

Revenir en haut