Le christianisme : faux, ennuyeux, dépassé ?

La croyance religieuse n’est pas une attitude infantile - Une idéologie devenue obsolète - Ecoutons René Rémond, Jean-Claude Guillebaud, Fabrice Hadjadj (Parcours Alpha, 1er thème de réflexion)

Henri Madelin « Sous le soleil de Dieu »

La croyance religieuse n’est pas une attitude infantile.

Il faut donc s’insurger contre les théories qui font de la croyance religieuse une attitude infantile. Nous devons dépasser aussi la notion de religion conçue comme « opium du peuple », introduite par Marx, pour lequel les relations matérielles détermineraient la conscience.

Or, c’est l’inverse qui se produit, la conscience réordonne les questions matérielles : le culturel et le spirituel font bouger le monde. C’est le respect de l’homme, c’est le surgissement des libertés qui entraînent les plus fortes évolutions. La religion, loin d’endormir, participe à cet univers-là ; on l’a bien vu avec l’effondrement des régimes marxistes et la prise de conscience des injustices dans les sociétés d’Amérique latine ou aux Philippines.

La religion ne disparaît pas quand on va de la campagne vers les villes

Un autre mythe s’écroule, celui qui consistait à dire que la religion disparaît quand on va de la campagne vers les villes. Ce n’est pas vrai. Les pratiques religieuses sont souvent plus élevées dans les villes modernes que dans les campagnes arriérées.

Cela veut dire que subsiste, dans nos têtes, une idéologie qui a assimilé le progrès scientifique et technique à l’élimination de la religion. Or, les faits démentent complètement cette perspective.
Je m’étonne de ce qu’a écrit un chercheur français, Emmanuel Todd. Dans un livre récent La nouvelle France, il précise :
« Nous sommes entrés dans la troisième crise du catholicisme français, que l’on peut considérer comme terminale. »

Or, nous sommes vraiment très loin de ce scénario qui pense le monde catholique sur le modèle communiste ou sur celui des idéologies éphémères.

Une idéologie devenue obsolète

Un mouvement d’idées devenu obsolète persiste à considérer la religion comme aliénante et voudrait faire croire qu’il faut s’en libérer au fur et à mesure que l’on mûrit.
Les faits montrent exactement le contraire puisque, selon les enquêtes, les croyants les plus convaincus se recrutent également dans les populations à haut niveau culturel.
Que peuvent valoir les préjugés selon lesquels la religion engendre l’ignorance et l’obscurantisme quand on sait que de nombreux pratiquants figurent parmi les gens les plus à l’aise dans la rationalité moderne ?

VOIR Henri Madelin, Sous le soleil de Dieu,


Nietzsche ne s’était pas trompé. le message évangélique a changé l’histoire du monde.

Sur ce principe de subversion contenu dans le message christique, Nietzsche ne s’était pas trompé. Cela pourra sembler étrange, mais une lecture très attentive de Nietzsche se révèle vite roborative pour un chrétien. Tout en combattant le christianisme, Nietzsche prend très au sérieux sa fondamentale « nouveauté ».

Il la considère comme une catastrophe mais il concède - pour s’en lamenter - que le message évangélique a bel et bien changé l’histoire du monde en privilégiant la victime sur l’oppresseur, en ouvrant la voie à ce qu’il appelle dédaigneusement une « morale des faibles ou des esclaves ».

Nietzsche a perçu mieux que quiconque la puissance prodigieuse de cette subversion évangélique. À ses yeux d’ailleurs, la pensée grecque elle-même, depuis Platon, était déjà préchrétienne sans le savoir. Il exècre de la même façon Platon et le Nouveau Testament, et préfère en revenir, quant à lui, à la tradition présocratique. Une tradition où l’on est encore dans l’innocence de l’oppression et de la persécution ; une tradition où les forts n’ont pas à rendre raison de leur aristocratique supériorité.

VOIR J.C. Guillebaud, « Comment je suis redevenu chrétien »


De grands intellectuels revenus à la foi

Le renouveau catholique s’amorce dès le début du XX° siècle avec le mouvement de conversion d’intellectuels.

Pour certains d’entre eux, c’est un retour à la foi de leur enfance, mais pour d’autres, c’est une véritable découverte, l’accès à une réalité spirituelle nouvelle. […] On a bel et bien le sentiment que les petits-enfants répudient les idées de leurs grands-pères pour revenir à la foi de leurs ancêtres.
Un tel mouvement intellectuel et spirituel apparaît vraiment comme une rupture, provoquant parfois des conflits violents comme on le voit chez Péguy et Maritain.

Le phénomène des conversions individuelles revêt d’autant plus d’éclat et trouve d’autant plus d’échos qu’il touche principalement le monde des écrivains et des artistes. Qu’on pense à Jean Cocteau et Henri Ghéon, à l’influence personnelle de Paul Claudel, à Alain-Fournier et Jacques Rivière, rédacteur en chef de la Nouvelle Revue Française, à Péguy !

S’opère ainsi une sorte de conjonction assez exceptionnelle entre ce renouveau catholique et un foisonnement artistique et littéraire de premier plan.
De 1920 à 1950 environ, la littérature catholique jouit d’un prestige incomparable dans les lettres françaises. Elle touche à la fois au théâtre avec Claudel, au roman et la polémique avec Bernanos et Mauriac, à la philosophie avec Maritain, à la poésie avec Péguy. Il est difficile alors pour un observateur attentif ou un critique simplement honnête de considérer le catholicisme comme une vieillerie, bonne à jeter.

Plus que cela, il [le catholicisme] exerce une attirance ! En témoignent philosophiquement l’influence de l’existentialisme chrétien incarné par Gabriel Marcel, l’école des valeurs avec Le Senne et Lavelle, l’ouvrage d’Henri Bergson « Les deux sources de la morale et de la religion » considéré à sa parution en 1932, comme valant adhésion du philosophe au christianisme. Et puis comment ne pas évoquer la séduction qu’exerce le catholicisme sur Simone Weil.?

Il y a aussi la place que tiennent les catholiques reconnus comme tels dans la presse et la vie intellectuelle. Dans Le Monde justement, le feuilleton philosophique a été confié à Jean Lacroix, et c’est un autre universitaire lyonnais, André Latreille, qui assure la chronique des livres d’histoire ; un autre catholique, Pierre-Henri Simon, héritera du feuilleton littéraire.

VOIR René REMOND, « Le christianisme en accusation »


Vous étiez donc une graine d’intellectuel athée ?

De retour à Paris, j’étais athée, très antichrétien, de façon assez classique pour un juif de gauche. Le bachotage en « Maths Sup » ne m’allait pas du tout J’ai donc poursuivi par « Sciences Po », puis par la philosophie à la Sorbonne. A l’époque, je lisais Nietzsche et Georges Bataille comme parole d’Évangile. Je ne croyais certes pas en l’infaillibi­lité pontificale, mais pour l’infaillibilité nietzschéenne, j’aurais mis ma tête sur le billot. J’étais, au fond, dans la crédulité de l’athéisme.

Avec le recul, je me dis que l’incroyance absolue n’existe pas. Il y a toujours une confiance initiale dans une parole. Il suffit de voir les tenants de l’« athéologie », type Michel Onfray : ils prennent de véritables postures de prédicateurs puritains et moralistes, proférant des anathèmes, des excommuni­cations, promettant à leurs hérétiques, c’est-à-dire ceux qui ne pensent pas comme eux, un nouveau bûcher.

Étiez-vous heureux ?

Je jouissais de mon pessimisme. Je me représentais la pro­chaine extinction de l’espèce comme une chance. Ce goût du morbide est le luxe d’une vitalité adolescente. Mais il est déloyal car je prenais plaisir à écrire des choses sombres, genre Céline  : « L’amour, c’est l’infini à la portée des cani­ches. » Mais, dans la vie, j’étais romantique et douillet Je disais que l’homme n’était rien, mais je me prenais pour quelque chose. Au moindre bobo, j’avais le sentiment de vivre un désastre total.

Quelque chose en vous doutait de votre doute…

En fait, je ne savais pas encore que je sciais la branche sur laquelle j’étais assis, que notre cœur est fait pour la vérité et non pour l’illusion de la perpétuelle désillusion. L’es­pèce humaine était pour moi une espèce finie. Je voyais le totalitarisme génétique cherchant à « pacifier » l’homme. Contre lui, j’affirmais que la chair dans sa détresse a une valeur, que le corps, tel qu’il est donné, est un lieu de résis­tance. Cela me prédisposait à approcher l’Incarnation.

Comment ?

C’est à travers Marie que j’ai rencontré le Christ, non comme un personnage, mais une personne bien vivante. Dans l’église Saint-Séverin, je m’étais moqué (c’est la faute à Voltaire  !), des ex-voto qui entouraient une sta­tue de Notre-Dame du Bon Secours : « Succès à l’exa­men  », « Merci pour mon permis de conduire »
Une semaine plus tard, mon père avait un malaise, ma famille était bouleversée, nous avions peur qu’il meure. J’ai alors couru vers Saint-Séverin et j’ai prié cette Vierge dont je m’étais moqué… pour mon père juif ! Une sorte de paix ’ est entrée en moi. Comme jamais je n’en avais éprouvée. Je me suis intimement senti « à ma place » : un petit enfant qui fait l’aveu de sa faiblesse, et qui prie pour ses parents. C’était ma place, alors que je jouais au rebelle et m’intéressais bien peu à mes vieux !

VOIR l’interview paru dans la Revue « Panorama » en janvier 2007

Revenir en haut