Les dégâts de la « culture porno »

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Dans une société où le sexe s’affiche partout et où la pornographie est devenue une industrie de masse, les enfants sont confrontés de plus en plus tôt à une vision crue et violente de la sexualité. La libération sexuelle, qui voulait être une ouverture, une conquête, est devenue une nouvelle prison.

Dans une société où le sexe s’affiche partout et où la pornographie est devenue une industrie de masse, les enfants sont confrontés de plus en plus tôt à une vision crue et violente de la sexualité. Quels sont les effets de la banalisation du porno sur nos jeunes ?
Auteur du livre « Les jeunes et le sexe », Agathe Fourgnaud analyse ce phénomène.

Pourquoi ce livre ? La pornographie n’est pas un phénomène nouveau…

J’ai écrit ce livre pour montrer aux parents le climat dans lequel grandissent les enfants et les adolescents : une société où le sexe s’affiche partout et sous toutes ses formes, pour vendre et pour faire consommer n’importe quoi - crèmes glacées, livres, prêt-à-porter, télévision…
À ce stade-là, ce n’est plus de l’érotisme, mais de la pornographie de masse. C’est ce que j’ai appelé la « société porno-consumériste ».

couverture du livre

La libération sexuelle, qui voulait être une ouverture, une conquête, est devenue une nouvelle prison. On est passé d’un monde un peu coincé à une société qui prône la pornographie comme modèle relationnel et qui encourage le passage à l’acte. Il y a vingt ou trente ans, la pornographie n’était pas une industrie de masse comme aujourd’hui.
C’était, pour l’essentiel, des magazines de charme que l’on se passait sous le manteau. Là aussi, on était plus près de l’érotisme - qui suggère, fait appel à l’imaginaire, cherche à éveiller le désir - que de la pornographie pure et dure, qui montre la sexualité de façon crue et bestiale.

À quand remonte la banalisation de la pornographie ?

Le « coup d’envoi » remonte à 1985, lorsque Canal+ a obtenu la permission de diffuser des films X. Très vite, grâce à la vidéo, aux magnétoscopes, aux nouvelles chaînes payantes, puis à Internet, le porno est entré dans la consommation de masse. Ses « valeurs » se sont propagées à l’ensemble de la société : pour voir du porno, pas besoin de regarder un film X. Regarder un clip sur MTV ou écouter Skyrock suffit.

Comme je vous le disais, il y a d’abord eu la libération sexuelle, qui a peu à peu dérivé en tyrannie du plaisir. Puisqu’il s’agissait de tout montrer, de tout libérer, la représentation de l’acte sexuel est devenue une figure de style incontournable au cinéma. Dans ce domaine, le porno s’est imposé comme nouvelle référence.
La France, qui est l’un des pays les plus tolérants du monde sur le sujet, diffuse plus de 900 films pornos par mois, soit 11.200 films par an.

Si la télévision reste encore la principale source de consommation d’images X, il faut désormais compter avec Internet, son principal concurrent, surtout chez les plus jeunes. Là, ce sont des centaines de milliers d’images pédophiles et pornographiques qui circulent, à portée d’un simple clic, et auxquelles n’importe qui peut être exposé sans l’avoir voulu.
Et quand on sait que 80 % des mineurs naviguent seuls, libres de tout contrôle parental…

Aujourd’hui, on assiste à une surenchère de violence.

Une banalisation en entraîne d’autres : pour maintenir un état d’excitation quand tout a été vu et montré, il faut toujours aller chercher plus loin. Dans les années 90, le porno s’est radicalisé, devenant de plus en plus violent et glauque, et mettant en scène les comportements les plus transgressifs.
Une tendance qui a donné naissance à la mode du porno chic, et à ses publicités sulfureuses, spécialement dans le domaine du prêt-à-porter de luxe. Les attitudes sadomasochistes et zoophiles ont été exploitées par les publicitaires.

Autre exemple : le magazine Jalouse qui, pour son numéro de novembre-décembre 2005, a offert en supplément à ses lectrices un vibromasseur, comme d’autres un DVD. Pour bon nombre d’ex-soixante-huitards, aujourd’hui encore, il s’agit de « décomplexer le porno », selon l’expression consacrée.

A qui cela profite-t-il ?

Tout d’abord aux producteurs, car cette industrie est extrêmement lucrative ; ils diversifient leurs produits pour atteindre et fidéliser de nouvelles tranches de consommateurs, notamment les jeunes. Ce n’est pas un hasard si les vedettes du porno sont désormais des stars à part entière, que l’on retrouve dans des films ou des émissions grand public, et à n’importe quelle soirée branchée.

Mais le porno profite aussi aux médias et à la presse féminine, en particulier la presse pour adolescentes. Sous prétexte d’informer, on leur vante les charmes de la masturbation, de la sodomie, de l’échangisme.
Sans parler de tous les tests censés être drôles où l’on propose à des ados à peine pubères de découvrir leur potentiel sexuel. Faut-il s’étonner ensuite si certaines demandent à leurs parents de leur offrir des strings ou encore une chirurgie esthétique pour avoir de plus gros seins ?

Les enfants ne sont ni des pervers ni des obsédés sexuels, ils piochent tout simplement dans les modèles que l’époque propose.

Les médias et certaines associations militantes n’ont-ils pas une part de responsabilité ?

En matière d’éducation sexuelle, on est dans le culte de la transparence : là aussi, il faudrait tout dire, tout montrer. C’est une approche clinique et désincarnée, qui s’est développée avec les campagnes de prévention sur le sida.

Tout se passe comme si nous étions dans une logique d’inversion du raisonnement. Je m’explique : sous prétexte que les jeunes baignent dans le porno depuis leur tendre enfance, et parce qu’il serait devenu la nouvelle culture des jeunes, il faudrait leur parler sur le mode pornographique pour qu’ils comprennent de quoi on leur parle. Ainsi, on fait de la surenchère.

Toutes les pratiques sexuelles sont expliquées dans le détail, même les plus extrêmes. Ce qui laisse croire qu’en matière de sexualité, tout se vaut. Et que la seule chose qui compte dans les relations, c’est d’être techniquement performant. C’est vrai, les jeunes ont aujourd’hui un vocabulaire cru et technique qui dépasse complètement les adultes. En envahissant les médias, le porno a aussi envahi le langage.
Parce qu’ils ne rougissent pas, ces jeunes ont l’air affranchis. Mais s’ils semblent manier avec aisance ce vocabulaire, ils n’en maîtrisent pas pour autant la signification.

Quelques chiffres
  • 80% des garçons et 45% des filles de 14 à 18 ans disent avoir vu au moins une fois un film X durant l’année passée, souvent par curiosité au départ.
  • Parmi ceux-là, 1 garçon sur 4, contre 1 fille sur 50, reconnaît être un spectateur assidu.
  • C’est autour de 14 ans que la consommation de films X est la plus grande.
  • Les sources de consommation de films X sont la télé (54%), la vidéo (40%), et Internet (32%).

Dans la société porno-consumériste, tout semble mis en œuvre pour que les ados entrent de façon précoce dans la sexualité. Loin des statistiques officielles qui commencent à dater, les psys, les gynécologues, et les éducateurs, observent un rajeunissement notoire de l’âge du premier rapport sexuel, qui se situe plus souvent aux alentours de 14-15 ans pour les garçons comme pour les filles.

Des expériences souvent frustrantes, sinon traumatisantes. Les gynécologues constatent ainsi une multiplication étonnante des problèmes de frigidité chez de très jeunes filles convaincues de ne pas être « normales » parce qu’elles n’ont pas ressenti de plaisir avec leur partenaire alors qu’ils ont pourtant « tout essayé ».

Pris dans le culte de la performance technique, les garçons sont tout aussi mal à l’aise. Pour certains, le corps de l’autre n’est plus un tout, mais un puzzle morcelé composé d’une paire de fesses et de seins. Chez les uns comme chez les autres, on note une dissociation très nette, un clivage entre sexe et affect. Et la difficulté à concilier les deux, même quand c’est leur désir.

Car l’idéal des jeunes, en réalité, ce n’est pas le sexe mais l’amour. L’amour, dont personne ne leur parle et qui, dans notre société, fait figure de nouveau tabou. Un tabou recréé par une génération d’adultes déconcertée par ses propres échecs et qui ne sait plus parler d’avenir - un comble pour une génération qui voulait « faire l’amour, pas la guerre » !

Quelles sont les conséquences sur les jeunes ?

Consciemment, la plupart des ados savent que la pornographie ne correspond pas à la réalité ; pourtant, malgré eux, ils restent prisonniers de ces représentations qui polluent leur imaginaire. Ils ont beau savoir que, dans la "vraie vie", les situations ne sont pas aussi extrêmes et caricaturales, ils ne peuvent s’empêcher de se dire que c’est plus ou moins comme ça que cela se passe, d’un point de vue technique s’entend.
Les images X, qui rejoignent toutes celles qui n’appartiennent pas à proprement parler au registre porno mais qui, à leur façon, continuent de reproduire sans fin les mêmes clichés, les confortent dans leur impression qu’il y a bien quelque chose de vrai là-dedans… puisque c’est ce que l’on voit partout !

Doit-on s’étonner que, pris au piège de la banalisation, ils reproduisent ensuite des schémas relationnels qu’ils ont précisément intégrés comme "normaux" ?

C’est là où se pose le problème de la distance critique : « banaliser » ne veut pas dire « digérer ». Les spécialistes le savent : chez les plus jeunes, voir des images violentes et pornographiques peut engendrer les mêmes dérèglements que ceux conséquents à un abus sexuel.
Autre constat des psys : les enfants manifestent des préoccupations sexuelles de plus en plus tôt, et les questions traditionnellement posées autour de 14 ans peuvent basculer vers les 6 ou 7 ans.

Votre analyse est pour le moins inquiétante..,

Le discours porno-consumériste influence les ados de tous les milieux, les plus influençables étant les jeunes livrés à eux-mêmes, souvent issus de familles plutôt défavorisées sur le plan socio-culturel. L’enquête épidémio-logique menée par Marie Choquet, chercheuse à l’Inserm, le prouve : les jeunes entourés par leurs parents, bénéficiant d’une liberté de parole chez eux et formés à l’esprit critique, prennent beaucoup plus de distance vis-à-vis de la « culture porno ».

Comment réagir ?

Prendre conscience de la réalité que vivent les ados est déjà un bon début. Le culte de la « jouissance sans entraves » a donné naissance à la société du « jouir sans désir ». Avec le sida et la multiplication du nombre de divorces, pour les enfants d’aujourd’hui, aimer quelqu’un, c’est devoir s’en préserver. L’autre est présenté comme potentiellement porteur de mort, et non d’amour.
C’est aux parents de tenir un autre discours, et de transmettre l’importance du temps de la découverte. L’autre n’est pas un supermarché dans lequel on pioche au gré de ses envies ou de ses pulsions, mais un homme ou une femme que l’on rencontre pour construire ensemble une belle histoire.

« Les jeunes formés à l’esprit critique par leurs parents prennent beaucoup plus de distance vis-à-vis de la "culture porno" »

Le « culte du moi » dans lequel nous baignons participe activement à la prolifération du porno et aux comportements masturbatoires de masse. Sexuellement aussi, il n’y en a que pour soi. Jouir de quelqu’un et non plus avec lui, encourager les passages à l’acte pulsionnels au nom du droit individuel, tel est le message que nous faisons passer aux ados.
Faut-il s’étonner que les cas d’agressions - sexuelles, mais pas seulement - et les tournantes se multiplient ? Avant, les gens souffraient de troubles de l’inhibition ; aujourd’hui, ce serait plutôt de l’incapacité à savoir se retenir !

La culture porno-consumériste s’apparente à la « malbouffe », dans la mesure où elle est une forme de maltraitance éducative et affective. Le gavage, c’est en effet la solution trouvée par la société de consommation pour abrutir en douceur ses enfants rebelles qui réclament des parents pour grandir, des limites pour les transgresser, et des repères pour s’y référer. On ne peut pas reprocher à une génération d’appartenir à son époque, mais on peut, en revanche, lui reprocher de ne pas s’inquiéter de ce qu’elle lègue aux suivantes.

Agathe Fourgnaud, journaliste
propos recueillis par Bénédicte Drouen
Article publié par Famille Chrétienne, n°1485 1er jullet 2006

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