Nos prisons sont pleines de fous

Nos prisons sont pleines de fous qui ne sont pas à leur place. Elles sont devenues l’ultime hébergement d’une société qui ne veut ni ne peut plus assumer l’hébergement psychiatrique à long terme.

Dans la réalité, il révèle son insuffisance face à la société océanique et à ses effets sur l’errance. On voit aujourd’hui dans la rue des symptômes « historiques » qui avaient disparu du paysage sanitaire depuis l’arrivée des neuroleptiques. Car le système entier repose désormais sur la coopération volontaire du malade. À supposer même qu’il veuille bien se rendre spontanément dans un CMP, comment pourrait-il le faire s’il est seul, dans la rue, sans maîtrise du temps ni de l’espace ? Et quand il a réussi à s’y rendre une fois, comment pourrait-il repartir avec des plaquettes de médicaments - tout psychotrope étant l’objet de deal ou de vol ? Un SDF fou est doublement exclu, doublement victime de cette atroce liberté qui caractérise l’exclusion. C’est certainement l’être le plus libre de se noyer qu’on puisse imaginer.

Même quand il faut hospitaliser d’urgence un SDF qui, après avoir traîné des semaines dans les rues sans soins et sans médication, se met à hurler dans le métro, injurier ou agresser des passants, il n’est jamais le bienvenu dans les services hospitaliers. Les praticiens sont très ennuyés, ils ne savent que faire de lui une fois - l’épisode dépassé. Ils ne peuvent pas le renvoyer dans ses foyers, à charge alors pour le CMP de prendre la suite. La sectorisation n’a pas pensé l’itinérance, hormis un tour de garde des secteurs pour hospitaliser les SDF à tour de rôle. C’est le syndrome de la « patate chaude »… « Quand on les a, on les a sur les bras », entend-on dire dans les services. La logique hospitalière finit toujours par s’appliquer : comme on ne peut pas garder un patient indéfiniment, le SDF se retrouve dans la rue au bout de quelque temps. En termes psychiatriques, c’est vrai, il a bien été préalablement « stabilisé ».

Cet infernal et perpétuel aller et retour entre rue et HP s’arrête-t-il un jour ? La réponse est oui. Seulement, il faut pour cela attendre que ces psychotiques, en général inoffensifs, enfreignent la loi. Ils se retrouvent alors derrière les barreaux. Nos prisons sont pleines de fous qui ne sont pas à leur place. Elles sont devenues l’ultime hébergement d’une société dans l’impasse, qui ne veut ni ne peut plus assumer l’hébergement psychiatrique à long terme. (p. 178)

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