Père Penhouet, « un prêtre chez les taulards »

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Deux fois par semaine, ce prêtre de la Mission de France, aumônier national catholique des prisons, se rend à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis pour visiter des détenus. (voir « Les essentiels » de LA VIE du 15 octobre 2015)

"Ma mission est de leur redonner une dignité."

"Plongé dans le noir, immergé dans une odeur pestilentielle, Tristan était recroquevillé sous une sorte de paillasse. Pénétrant dans sa cellule, je lui ai demandé ce qu’il faisait là, dans cet état. « Je suis un petit chien moi, je suis né dans l’alcool et la drogue », m’a-t-il répondu. Je lui ai rétorqué que je ne disais pas bonjour à un petit chien, mais à un homme ; puis l’ai invité à se mettre debout et à ouvrir la fenêtre.

Depuis huit ans que je visite des prisonniers à Fleury-Mérogis, j’observe ce désastre humain : les hommes n’ont plus de considérations pour eux-mêmes, plus d’espérance. Ma mission est de leur redonner une dignité.

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« J’étais en prison, et vous êtes venus vers moi » , est-il écrit en Matthieu 25, 36.
Celui qui est rejeté et dépouillé de tout est le premier destinataire de l’Évangile. En tant que prêtre, l’appel de l’Église à aller visiter des prisonniers est plein de sens : le fait même d’être envoyé révèle tout le caractère sacré de la mission.
Ce n’est pas seul que j’entre dans les cellules des détenus, qui m’attendent… ou pas. Je n’ai jamais eu la curiosité mal placée de chercher à connaître leur passé, ou encore une réaction de jugement ou de recul face à des actes parfois d’une atrocité abominable : qui suis-je pour les juger, moi qui ai eu la chance d’avoir une enfance heureuse et équilibrée ?

à ECOUTER Jean-Marie Delarue à « Face aux chrétiens » : La prison broie les hommes

« moi qui ai eu la chance d’avoir une enfance heureuse et équilibrée »

Elle se déroula en milieu rural, au sein d’une famille d’agriculteurs, chrétiens, mais pas du tout militants. Malgré mes réticences, je suis allé au petit séminaire sur proposition du vicaire instituteur de mon village, puisque je me débrouillais pas trop mal à l’école. C’est là-bas que je reçus un premier appel à la vie consacrée.

Lors de mon service militaire, ma vocation se confirma.
Cette expérience dans l’armée fut fondatrice : au milieu des soldats, je rencontrai pour la première fois des incroyants. Peu à peu monta la certitude que si je devais être prêtre, ce serait parmi ces derniers, pour leur partager le bonheur de la foi. J’ai été mis en contact avec la Mission de France et ne l’ai plus quittée depuis.
Mon ministère a toujours été jumelé à un travail auprès de personnes en difficulté, dans le monde du handicap, de l’illettrisme, de l’insertion professionnelle… Jusqu’à ce jour où, pour la première fois, je célébrai la messe pour des femmes détenues à Fleury.

Le souvenir est encore vif dans ma mémoire.
Je fus bouleversé par l’esprit communautaire dont ces femmes témoignaient. Un lien très profond les unissait, dans la façon dont elles s’accueillaient, dont elles me recevaient, dont elles s’exprimaient à la prière universelle. Cette impression s’est affermie ensuite dans tous les bâtiments que j’ai arpentés. J’avais été curé en paroisse, mais n’avais jamais expérimenté cela. Jamais je n’avais vu pratiquer avec tant de solennité le geste de la paix du Christ. Jamais je n’avais saisi de visages aussi graves face à la croix. Et, hormis deux altercations entre détenus en huit ans, je n’ai jamais été confronté à un climat violent pendant l’office. C’est le seul moment, le seul endroit où les « pointeurs » - les délinquants sexuels -, peuvent s’asseoir aux côtés des autres prisonniers sans être maltraités. Telle une bulle sacrée, la messe est le lieu de tous les possibles, où la force de la liturgie unit détenus, personnes venues de l’extérieur, surveillants.

Un jour, un gars est revenu d’une tentative de suicide le samedi saint.
Je lui ai demandé ce qui l’avait frappé durant la célébration. « La fraternité dans votre communauté religieuse », m’a-t-il répondu. « Qu’est-ce que c’est pour toi ? », ai-je enchaîné. « C’est vous, ce sont les gens venus de l’extérieur, et ce sont les autres détenus. »
Cet homme, qui depuis ce jour est présent tous les vendredis au groupe biblique et à la messe, avait compris ce qu’était l’Église. J’en ai déjà vu communier, alors qu’ils se disaient agnostiques. Un geste comme ça n’a certes pas de sens théologique ou religieux, mais dans ce monde-là il dit l’essentiel : le Christ est là pour tous. Les détenus sont atteints, eux aussi, par l’amour de Dieu.

→ à ECOUTER Jean-Marie Delarue à « Face aux chrétiens » : La religion en prison

Les prisonniers se retrouvent sur des questions essentielles :
qu’est-ce que vivre ? Et pour qui est-ce que je vis ? Est-ce que je compte pour quelqu’un ? Suis-je encore aimable ? Ces interrogations, je les ai entendues ou devinées durant la semaine, dans un face-à-face, en cellule. Ces histoires douloureuses, je les porte en moi, lors de la messe, derrière et hors les barreaux.

Une fois, un détenu croisé dans une coursive et s’activant au ménage m’a expliqué qu’il avait tout perdu, sauf Dieu, qui était son Père, et que cela lui suffisait. Cela vaut toutes les homélies. Parfois, les prisonniers ont l’Évangile à la bouche sans jamais l’avoir lu.

C’est en prison que j’ai découvert pleinement le sens des mots. Avant, armé de mon bagage théologique, j’aurais pu écrire des pages sur le mot « salut ». Eux savent ce que c’est d’être sauvé. Eux savent ce qu’est le « péché ». Je suis saisi de voir à quel point la Parole fait écho en eux. À quel point par exemple le mot « abandon » percute chez beaucoup. Moi qui n’ai pas été rejeté par mes parents, qui n’ai pas la même histoire, je suis invité à approfondir la « fidélité » de Dieu.

Bien souvent, je me tais devant la souffrance et le mal
On a beau connaître la théologie et les encycliques, survient le moment où nous faisons face au mystère. Je crois que les détenus apprécient ce silence. Quand un gaillard, écrasé sous la culpabilité, pleure, je me tais. Je ne peux pas lui dire que ça va passer comme ça. Quand un homme rentre d’une tentative de suicide, je me tais. Quand un autre m’interroge sur le silence de Dieu, je me tais. Comme l’a dit Benoît XVI, parfois seul l’Amour parle dans le silence.

Depuis que je suis aumônier de prison, je ne veux plus enseigner.
Je crois que c’est la personne qui se pense, ou le Christ qui pense. Pas moi. Je ne suis pas là pour grossir les effectifs de l’Église, mais pour considérer la personne pour ce qu’elle est et me placer dans une écoute inconditionnelle, ce qui est déjà une démarche d’évangélisation. Je lui assure que Dieu ne l’abandonne pas, mais j’aurais beau lui dire que Jésus l’aime, il s’en fichera s’il ne se sent pas écouté.

« La posture de la foi est d’accepter de ne pas avoir réponse à tout »

Comment un homme peut-il supprimer la vie d’autrui ? Je l’ignore. Mais cela n’atteint jamais mon espérance. La posture de la foi est d’accepter de ne pas avoir réponse à tout, tout en tenant dans la confiance, l’amour et la fidélité au Christ.
Je tente de faire comprendre à ces détenus qu’ils ne sont pas réductibles à leurs actes ; et de leur ouvrir une petite porte de confiance en l’avenir, bien que cela ne soit pas toujours facile et audible. Une fois, l’un d’eux m’a dit : « Ils m’ont tout pris, même mon fils. » La justice lui avait interdit toute visite. « Non, lui ai-je répondu, puisque vous serez toujours le père de ce garçon. » C’était au nom de ma foi que je pouvais lui assurer que la vie valait malgré tout d’être vécue. Qu’il existait un avenir, même s’il m’était inconnu.

Un prisonnier m’a confié dans une lettre qu’il avait commis un deuxième crime, couvert par la prescription. Le lendemain, il me suppliait de revenir le voir dans sa cellule. En entrant, je lui demandai s’il regrettait de m’avoir confié ça, s’il craignait que je parle. « Oh non ! J’ai eu peur que vous changiez de regard sur moi. »

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VOIR « Jean-Marie Delarue à Face-aux-Chrétien »

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