Marie-Noëlle Thabut, bibliste

Beau témoignage de Marie-Noëlle THABUT, bibliste renommée. Cet article est paru dans l’hebdomadaire LA VIE. A la fin de cet article vous trouverez le lien pour lire le texte dans son intégralité (et voir les photos).

Cette bibliste renommée a su mettre la parole de Dieu à la portée de tous. À la veille de Noël, elle confie que la lecture et l’étude assidue de la Bible a changé sa vie. Dieu n’est pas un Dieu vengeur, mais quelqu’un qui se fait proche.

Dans mon enfance, je n’avais jamais vu, ni lu la Bible. Les lectures en latin entendues à la messe me parlaient peu. J’étais également convaincue que la Bible recelait des histoires peu recommandables… À la maison, nous pratiquions notre foi, sans beaucoup en parler. Pour mon père, militaire, marqué par une religion très austère, la vie n’était pas faite pour être heureux. Je vivais donc dans la crainte d’un Dieu sévère, qui serait content de me voir mettre un caillou dans ma chaussure ou me priver de confiture !

Marie Noëlle Thabut commente régulièrement la Parole de Dieu sur KTO

Après des études de droit, devenue mère de famille, j’ai assuré la responsabilité de la liturgie en paroisse et j’ai désiré me former en théologie. J’étais alors une des premières femmes laïques à passer la licence. Prévue en quatre ans, elle m’en prendra dix.
Mon souci était d’être présente à la sortie de l’école pour mes enfants. J’ai essayé de conjuguer vie familiale et professionnelle et me suis privée de nombreuses sorties et de ma passion pour la flûte traversière afin de travailler.
Cette formation m’a beaucoup apporté, j’ai refait du grec et appris l’hébreu. Mais l’amour de la Bible m’est venu d’une femme, Germaine Colas, qui donnait des formations bibliques pour les laïcs dans le diocèse de Versailles. Plus tard, j’ai pris sa suite.

Il m’a fallu 10 ans pour changer ma vision d’un Dieu « père fouettard ». J’ai été très malade, plusieurs fois. « Tu vas offrir tes souffrances… », m’a-t-on dit, comme si cela plaisait à Dieu ! Je ne savais pas offrir mes souffrances, mais j’essayais de les vivre avec Lui.
Dans la maladie, le livre de Job m’a beaucoup aidée. Job était un homme parfait, à qui il est arrivé toutes sortes de malheurs. Puis Dieu a fini par lui rendre tous ses biens, et plus encore. Ce conte, circulant depuis des siècles en Israël dans les caravansérails, part d’un discours omniprésent alors : si l’on souffre, c’est que l’on a péché. Si l’on se conduit bien, tout ira bien.

Avec Job, j’ai découvert le vrai visage de Dieu. Dans la douleur, la seule manière de vivre moins mal est de se lover dans sa main.

Cette loi de rétribution, qui punit les méchants et récompense les bons, nous habite parfois encore aujourd’hui. Or qui a un peu vécu sait bien qu’il n’en est pas ainsi. L’auteur biblique s’est donc saisi de ce conte pour le séparer en deux et a rajouté 38 chapitres au milieu. Comme juriste, j’ai compris qu’il s’agit d’un procès. Job (personnage fictif, qui pourrait être vous ou moi), l’homme de souffrance qui crie à travers les siècles, en est la victime, Dieu l’accusé, et les « amis » de Job les avocats de l’accusé.
Tout le monde s’accorde sur la logique de rétribution. Jusqu’au moment où Job, convaincu de son innocence, après s’être longuement débattu, sort de cette logique. Il s’avoue humble, impuissant. Il implore Dieu de parler. Dieu alors va s’exprimer, non pas pour lui expliquer la souffrance mais pour lui demander de contempler sa Création qui est bonne, manière de lui dire : « Toi aussi, je t’aime. Fais-moi confiance. »

Il y a bien des choses que je ne comprends pas et qui me révoltent

Avec Job, j’ai découvert le vrai visage de Dieu. Dans la douleur, la seule manière de vivre moins mal est de se lover dans sa main. Beaucoup de nos contemporains sont convaincus que Dieu envoie l’épreuve, pour payer quelque chose. Or, il n’y a rien à payer, jamais. Lorsque je vois mes enfants souffrir, je me sens impuissante et très malheureuse. Comment Dieu pourrait-il se réjouir et se montrer pire que nous, parents très imparfaits ?

C’est quand on n’a plus rien, quand on appelle au secours, que Dieu se laisse rencontrer. J’en ai fait l’expérience quand dans ma paroisse, en 1968, j’étais catéchiste d’un groupe de 55 enfants dont certains très difficiles. Je me suis sentie incapable de mener une séance sur la parabole de l’enfant prodigue, implorant le Seigneur de le faire à ma place. Elle s’est révélée formidable ! À la fin de l’heure, le garçon le plus chahuteur a dessiné la maison du Père. La porte formait une bouche, les volets étaient des mains, la fumée de la cheminée disait « mon fils, je t’attends ». Il avait tout compris. Je crois que le plus important est de faire notre possible, puis de faire confiance.

La découverte de ce Dieu proche, dont la seule « vengeance » est de me relever, a changé ma vie.

J’ai mis longtemps à comprendre que je n’ai pas besoin de faire des efforts pour obtenir ou mériter quoi que ce soit de Dieu, car sa grâce est déjà acquise. Dès la fin de l’Ancien Testament, tout est déjà donné : « Ne sais-tu pas que les larmes de la veuve coulent sur les joues de Dieu ? » (Siracide 35,18). Dieu se révèle un Dieu de miséricorde, qui n’est qu’amour. Miséricorde signifie un cœur attiré par la misère. Pourquoi la tendresse de Dieu nous fait-elle peur ? Personnellement, je suis contente de me jeter dans les bras d’un Père. Tous les gestes que je peux faire, prières, offrandes, sacrifices, ne sont pas faits pour obtenir quelque chose de Dieu, mais pour me rapprocher de Lui et entrer plus profondément dans son intimité.

Dieu, le Tout-Autre – celui qu’on n’approche pas – se fait Tout-Proche. Les juifs et musulmans avec qui je suis très liée, pour qui l’incarnation est un scandale, m’aident à prendre conscience de l’inouï du projet de Dieu.
La découverte de ce Dieu proche, dont la seule « vengeance » est de me relever, a changé ma vie. Mes imperfections, mes péchés, mon passé ne sont plus le centre de ma vie spirituelle. Mon examen de conscience en est changé. Me voilà complètement libérée. Dieu nous aime comme nous sommes et il aime notre monde. N’être rien n’a plus aucune importance, mais ce rien, moi seule peux lui offrir. Ma réflexion est devenue : que puis-je faire demain pour faire avancer le Royaume ? À la femme adultère, Jésus dit : « Va et ne pèche plus. » L’avenir s’ouvre. Mon chemin d’humanité est de reconnaître ma faiblesse, et de marcher vers la lumière en me laissant irradier peu à peu.

Retrouvez dans son intégralité cet article paru dans l’hebdomadaire LA VIE

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