Le peuple aymara se trouve concentré essentiellement sur les rives du lac Titicaca et la majorité vit en Bolivie. Il se caractérise par sa résistance sociale, économique et culturelle. 500 ans d’évangélisation, de la part des catholiques, des protestants et des sectes, n’ont pu venir à bout de la religion aymara.
Voici comment les Aymaras jugent l’évangélisation qu’ils ont subis :
« Bien que cela fasse déjà 500 ans, nous ne sommes pas des catholiques authentiques. Oui nous sommes baptisés, mais dans la pratique nous vivons notre religion aymara avec tous nos rites à la »pachamama« et aux »achachila".
Les Aymaras en cachette ont toujours leurs coutumes sans se faire voir du prêtre.
Il est clair, dès les premiers contacts avec le monde des Aymaras, que celui-ci n’est pas évangélisé. Il a résisté bec et ongle non sans raison. J’évoquerais d’abord des raisons historiques, rappelant le contexte de l’évangélisation dans la conquête, des raisons actuelles liées au témoignage, les formes qu’a prise la résistance dans les pratiques religieuses, enfin des raisons dues à la globalisation.
La première évangélisation
La première évangélisation a partie liée avec la conquête. La croix est arrivée avec la conquête. La foi fut imposée. Le Dieu des chrétiens fut pour les indigènes un Dieu de mort, un Dieu qui humiliait et dépersonnalisait.
La première évangélisation est marquée de façon profonde par le fait qu’en échange de l’or les Espagnols « ont fait cadeau de la religion ». Par le contexte de violence et pas seulement physique et, de « génocide », qui fut aussi culturelle, de lutte contre les « idolâtries » et donc de la volonté de détruire la religion aymara, l’arrivée de la religion catholique a participé au « traumatisme » de la conquête dans l’esprit et le cœur des Aymaras.
Les clercs qui accompagnèrent les conquérants
ne manquaient pas d’être armés et de faire le coup de poing dans les affrontements. Ils avaient aussi leur part du butin. Ils devenaient propriétaires terriens. Ils faisaient fortune de façon ou d’une autre.
Une fois établie la domination, la motivation du clergé restait celle du salaire. Au début du XVIIe siècle, les curés recevaient un salaire annuel de 800 à 1000 pesos, contre 150 pour un marin, par exemple. Le curé était un riche.
La création des « doctrinas »
À côté des paroisses furent rapidement créées les doctrinas. Dans les doctrinas, il s’agissait d’ « évangéliser » les « Indiens ». Une des « missions » prioritaires de la doctrina a été la lutte contre les « sorcelleries ». Contre la religion aymara. Mais aussi la lutte culturelle, contre les déformations de crâne, la façon de se coiffer, de s’habiller, d’enterrer les morts, etc.. Les fameuses polleras (Jupes) des femmes ne sont en fait qu’un vêtement espagnol imposé au temps de la colonie.
La doctrina va privilégier la sacramentalisation sur l’évangélisation. La priorité sera donnée au baptême, mariage et à la confession. Le baptême permettait de faire les relevés pour les impôts et la main-d’œuvre gratuite. Le mariage imposait la structure sociale européenne, la structure des noms devait être espagnole. La confession était l’instrument de contrôle idéologique.
Le peuple Aymara a fait une élaboration historique de la conquête qui est collectivement acceptée et est un élément essentiel à la cohésion de la société : la conquête est devenue le symbole de l’exploitation, l’esclavage, la destruction, l’injustice, l’humiliation.
Chaque fois que l’Aymara se trouve confronté à une situation de violence, de souffrance, de mort, il fera référence au mythe de la conquête.
La religion aymara est devenue le symbole de la résistance au monde occidental
Le rôle de l’Église catholique dans la conquête et la colonisation a imposé la religion catholique qui est devenue la religion dominante, elle décide seule de ce qui est « vrai » et relègue dans la clandestinité la religion aymara. Celle-ci est devenue le symbole de la résistance au monde occidental.
L’Église se trouve confrontée à l’incohérence et à l’inefficacité. Les valeurs chrétiennes sont en contradiction avec la pratique, ce que ne manquent pas de relever les Aymaras. L’agent de pastorale se trouve confronté au fait que son message « ne passe pas » et que son témoignage est disqualifié. Il est vain de se retrancher derrière les statistiques qui font de la majorité de la population des chrétiens.
Ce que refuse le monde aymara
est d’avoir à « se renier lui-même » pour devenir chrétien. Il refuse d’abandonner son identité, de perdre son âme. Ce que refusent les Aymaras c’est la validité du témoignage des chrétiens. « La sagesse populaire » reconnaît que ce que prêche l’Église est une chose et ce que fait l’Église tout autre chose, parfois tout le contraire.
Or le témoignage est essentiel à la transmission de la foi. C"est sur la base du témoignage que les apôtres ont diffusé la Bonne Nouvelle selon les recommandations du Christ :
« Vous serez alors mes témoins … jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8b).
Nous avons trop souvent oublié le destinataire, c’est-à-dire l’autre, pour ne nous centrer que sur le contenu du témoignage.Les bases du témoignage sont la pauvreté, la gratuité, la charité. Cependant ce témoignage ne résiste pas au « contre-interrogatoire » de la pratique.
La pauvreté pour l’Aymara est une conséquence de la conquête. Et l’agent de pastorale est considéré comme un riche. Même si celui-ci ne possède aucun titre de propriété et pourra parler de pauvreté, son style de vie, l’habitat, la voiture et surtout l’argent qu’il distribue, rendront son témoignage irrecevable pour l’Aymara.
La gratuité et la charité, dans le monde aymara, s’organisent sur la base de la réciprocité. L’agent de pastorale considérera cela comme une opération mercantile. La compréhension du « témoignage » de la part des Aymaras se trouvera compliquée par la diversité des nationalités et donc diversité des cultures, des théologies, des pratiques pastorales des agents de pastorale étrangers. L’Aymara ne trouvera donc pas d’unité dans son dialogue avec la religion catholique.
(François Donnat dans « Mission de l’Eglise n°141 », Déc 2003)