La doctrine du purgatoire est fondée sur ceci que, pour être unis à Dieu dans une communauté de vie, il faut que nous soyons tout amour comme lui-même est tout amour. Pas un atome, pas un grain d’égoïsme ne peut entrer en Dieu. Car l’égoïsme est le contraire de Dieu, donc l’opposition à Dieu. Seul l’amour est assimilable à l’amour. Qui donc oserait penser qu’à l’heure de sa mort, il est constitué en état de parfait amour et qu’il n’y a plus en lui le moindre atome d’égoïsme ? La Vierge Marie étant seule exceptée, c’est impossible.
II est probable qu’aucune créature ne peut produire ici-bas un seul acte parfaitement dépouillé de tout retour égoïste sur soi. Il est nécessaire — puisqu’il s’agit, non pas de jouir d’une béatitude simplement naturelle mais de la participation à Dieu tel qu’il est en lui-même — que ce résidu d’égoïsme soit entièrement consumé. Tel est le sens du purgatoire. Disons, en jouant sur les mots : pour que l’amour soit consommé, il faut que l’égoïsme soit consumé. Pour que l’amour soit consommé en béatitude, il faut que l’égoïsme soit consumé en repentir purifiant.
Si vous avez une vie spirituelle authentique, si vous vivez vraiment à l’intérieur de vous-mêmes avec Dieu,
vous savez très bien que l’égoïsme, ce ne sont pas seulement nos actes explicites contre l’amour. C’est aussi, comme dit Claudel, cette « température continuelle » de repli sur soi qui est immanent à tous nos actes, même les plus généreux, et dont nos actes peccamineux ne sont que les points d’émergence.
→ « Quelle vie après la mort ? », une émission diffusée sur KTO le 7 septembre 2016
La souffrance du temps présent commence déjà
cette œuvre de purification.
Une telle purification, qui atteint le fond de l’être, ne peut pas ne pas être douloureuse. Ce dont il s’agit, c’est d’être entièrement arraché à soi pour devenir capable d’être entièrement donné à Dieu. Or l’arrachement à soi, c’est la souffrance même. La souffrance du temps présent commence déjà cette œuvre de purification. Et si la souffrance n’avait pas cette valeur de purification, elle serait purement et simplement un non-sens, un scandale. Il y a donc déjà un purgatoire ici-bas. Mais la souffrance du temps présent doit être achevée au-delà de la mort d’une manière mystérieuse (sur laquelle, d’ailleurs, l’Église est d’une sobriété remarquable) mais certaine.
Il n’y a rien de surprenant à ce que la Tradition compare à un feu cette brûlure de la purification. Purgatoire signifie purificatoire. Au fond, c’est le même feu qui damne en enfer, qui purifie en purgatoire, qui béatifie au ciel. Dieu ne change pas, le feu de l’amour est toujours le même. C’est nous qui sommes différents devant l’amour immuable et infini : si nous sommes totalement contraires à l’amour, le feu de Dieu nous torture ; si nous sommes capables de purification, ce feu nous purifie ; et si nous sommes unis à Dieu, ce feu nous béatifie.
François Varillon, extraits de ses conférences
cf « Joie de croire, joie de vivre », p. 203