Ce livre m’a beaucoup appris et beaucoup plu. J’ai relevé ci-après les passages qui donnent à réfléchir.
Les religions s’enracinent dans des traditions antérieures
« La tentation est grande, dans les religions, de croire qu’avant elles rien n’existait. Pourtant elles ont toujours été la continuation de quelque chose qui les a précédées, ce qu’on appelle une Tradition ».
« Quand nous étudions leurs origines, et en particulier leurs textes fondateurs, les questions que nous devons nous poser sont donc nombreuses et diverses » (dans l’introduction page 11)
Garder à l’esprit qu’il y a eu une parole avant qu’on ait un texte.
« La parole se distingue du texte par plusieurs fonctions : elle est reçue par l’oreille ; elle est prononcée dans un environnement très riche […] ; elle peut être explicitée, commentée par une demande de l’interlocuteur ou de ceux qui l’écoutent, […]
Au contraire , le texte est silencieux et orphelin de son auteur qui, dans le cas des prophètes, est définitivement absent. […] Chaque lecteur le fait donc parler selon ses compétences, ses références intellectuelles et culturelles ses choix subjectifs. » […] (relevé pages 36 et 37)
« Les musulmans défendent fortement l’idée que Muhammad n’est qu’un "homme" avec ses erreurs, ses imperfections ; »
« On pourrait dire que le grand dilemme du musulman est d’essayer de tendre vers une perfection d’ordre divin tout en sachant qu’il ne pourra jamais l’atteindre. Cependant, dans la façon de vivre l’islam aujourd’hui, cette tentative de "ressembler à tout prix au prophète" peut causer de nombreuses souffrances. […] C’est un objectif inaccessible qui se solde par une permanente "culpabilité" pour tous les musulmans. » (relevé page 47)
Qui était réellement Mohammad, impossible de le dire pour un historien moderne. « Chaque génération construit ’son’ Prophète »
« Mais, pour l’historien moderne qui s’efforce de démêler l’histoire réelle de la légende et du mythe, les récits des musulmans sur Mohammad constituent des sources discutables. Ce sont des histoires que les gens se sont racontées de son vivant et surtout bien longtemps après sa mort, et qui ont fini par forger la figure du prophète. » (relevé page 48)
Le Coran, d’abord une Parole, puis un écrit : importance de la récitation
« pour la grande majorité des musulmans, le Coran reste une parole vive et prend tout son sens dans l’acte de le réciter ou de l’écouter. On peut voir des cérémonies où des hommes récitent à voix haute des versets du Coran, comme s’ils mettaient en musique une poésie. […]
La récitation produit des effets psychologiques considérables dans l’auditoire. » (relevé pages 62, 63)
La mise par écrit du Coran a posé problème. Particularités des langues sémitiques
« comme toutes les langues sémitiques, l’arabe s’écrit au moyen de consonnes, sans que soient tracées les voyelles des mots, qui sont au nombre de trois seulement. Dans les plus anciens fragments du Coran, les voyelles ne sont absolument pas indiquées. »
« De plus, en arabe, certaines consonnes ont le même dessin graphique (rasm) et ne se distinguent entre elles que les points diacritiques placés au-dessus ou au-dessous d’une lettre. » (relevé pages 84 et 85)
Dans le Coran on trouve des traces des autres croyances
« Le Coran ne parle pas uniquement des divinités mecquoises. Il entre en dialogue mais aussi, le plus souvent, en conflit avec les autres croyances présentes en Arabie : avec les formes de judaïsme ou de christianisme existant à la Mecque et à Médine, ou encore avec les religions originaires de la Perse, on trouve des points de "frottement" avec l’enseignement coranique. Pa exemple, le culte zoroastrien, qui s’enracine dans le message du prophète perse Zoroastre, comporte cinq prières quotidiennes accompagnées de prosternations, de rites d’ablution et de récitation de textes sacrés. » (relevé pages 122 et 123)
« Une rupture avec les deux autres grands monothéismes présents au Proche-Orient : le judaïsme et le christianisme »
« En opposition aux croyances chrétiennes surtout, l’islam premier a tout mis en œuvre pour se différencier. »
« La parole coranique exerce à son tour une rupture forte avec le christianisme. Le nouveau système de croyance se met en place en refusant et en rejetant des croyances, en particulier l’incarnation de Dieu en la personne de Jésus-Christ, l’origine éternelle de ce dernier, l’idée qu’il est le Fils de Dieu, sa mort sur la croix et sa résurrection trois jours après. L’islam se manifeste vraiment comme un non-christianisme. » (relevé page 130 et 131)
Le souci des pauvres est un enjeu de la prédication coranique. Le coran « porteur d’une nouvelle éthique ».
« Il (le discours coranique) se montre très dur envers le riches, qui sont décrits comme injustes, usuriers. Le Coran se veut porteur d’une nouvelle éthique, qui dérange et menace les intérêts de certaines catégories de population mais suscite un début d’adhésion chez d’autres » (relevé page 136)
A Yatrib (Médine) Mohammad s’impose comme un organisateur et un chef de guerre
« En ce temps-là, toute réussite humaine est associée à l’efficacité d’une alliance avec une force protectrice surnaturelle. »
« La victoire de Badr va aussi permettre à Muhammad de s’imposer comme l’homme capable de prendre en main les destinées de la cité de Yatrib et celles de ses habitants. Son succès lui permet de mettre sur pied une nouvelle organisation des clans et des tribus à travers une nouvelle confédération des tribus. » (relevé pages 156 et 157)
Le Coran est-il la transcription exacte de la Parole de Dieu ?
« Pour certains musulmans, le Coran-texte que nous avons est considéré comme la transcription exacte du Coran originel (qui se trouve dans les Cieux et qui serait la proclamation divine originelle). »
« on ne peut réduire et enfermer la Parole de Dieu dans une parole humaine, une parole qui dépend fortement d’un contexte culturel, linguistique, historique … » (relevé pages 173 et 174)
La polygamie en islam, comment elle s’explique
« Ce choix est permis par le Coran. Il correspond à une possibilité dans la société arabe où a vécu Muhammad. »
« Une des raisons de cette situation est sans doute que les hommes, décimés par les guerres, étaient bien moins nombreux que les femmes. Mais chez les hommes appelés à jouer un rôle de premier plan, la polygamie représentait aussi un signe de réussite, de richesse, d’importance. » (relevé page 191)
Le Coran est-il un livre violent ?
« Si un djihadiste cherche un passage violent, il le trouvera, et il sera conforté dans ce qui est en fait sa propre opinion préconçue du Coran. De même pour un pacifiste, un individu attaché aux rites, un mystique. »
« on s’aperçoit que ces passages [versets qui incitent à la violence] replacés dans la société où ils sont nés, sont conjoncturels : ils se réfèrent à des situations et des contextes qui ne sont pas ceux d’aujourd’hui et ne sont pas transposables tels quels hors de leur époque. » (relevé pages 197 et 198)
La version de la loi du talion dans le Coran
« Dans cette société, il y avait une régulation de la violence ».
« C’est la version tribale de la loi du talion reprise tel quel dans le Coran. "Œil pour œil, dent pour dent" veut dire : "Pas moins, mais pas plus !". Pour régler les conflits entre tribus et clans, se sont des "pactes" et des "alliances" qui sont mises en œuvre. Tout est contractuel et objet de négociation entre chefs de clan et tribu. » (relevé page 203)
« On ne cherche en aucun cas à mourir pour aller au paradis »
« La société à laquelle est adressé le Coran n’est pas une société où les hommes cherchent à mourir. Au contraire, on essaie de trouver des moyens de bien vivre avec les siens, avec son clan et sa tribu. »
« Si par malheur on meurt, alors certes il y a la promesse du paradis pour ceux qui ont bien agi. Mais on ne cherche en aucun cas à mourir pour aller au paradis, car ce serait affaiblir son groupe de parenté (son clan) et abandonner la famille dont on a la charge, une famille dont la prospérité et la protection sont un objectif absolument prioritaire. » (relevé page 204)
Il n’y a pas de martyrs dans le Coran
« La martyrologie musulmane se met en place plus tard dans des sociétés qui la connaissaient déjà". Ce sera le cas notamment dans le chiisme, qui se réfère au drame fondateur du Husayn, le second petit-fils de Mohammad, en 680, à Kerbala. Par contre, dans le sunnisme, c’est une idée récente : elle n’a pas vraiment d’antériorité et elle est en contradiction avec la tradition musulmane millénaire. » (relevé page 205)
Le hadith : « Celui qui change de religion, tuez-le » est en contradiction totale avec le Coran
« Dans la société des origines, chacun peut librement choisir sa voie en pensant que c’est la bonne voie. S’il se trompe de voie, il lui arrive malheur parce qu’il se perd, comme dans le désert. Mais personne ne peut le forcer à suivre la voie qu’il ne veut pas.
Dans la société tribale, on ne pouvait être tué ni pour des raisons idéologiques ni pour une opposition au Coran. » (relevé pages 206 et 207)
« Que répondre à ceux qui dénoncent les »violences inhérentes à l’islam" ?
« L’islam n’est pas une réalité intemporelle, il est ce que les croyants de chaque époque en font. Finalement, chaque croyant proclame sa propre vérité et la juge seule valide.
Le problème est qu’en dehors d’une approche qui "historicise" (replace les textes dans leur histoire), qu’ils soient dans le Coran ou dans l’Ancien Testament, ils ne peuvent pris pour argent comptant dans un contexte de crise, de frustration et violence comme aujourd’hui. » (relevé page 215)