Le Coran peut-il nous éclairer sur les Evangiles ?

Marie, Abraham, Moïse, Jésus, toutes ces figures bibliques et évangéliques figurent dans le Coran. Mais leur histoire a été entièrement remaniée.

La Vie hors série

En plein cœur du désert, adossée à un palmier, Marie met Jésus au monde. La voyant apeurée, le bébé prend la parole pour la rassurer :
« Ne t’afflige pas ! Secoue vers toi le tronc du palmier ; tu feras tomber vers toi des dattes mûres, prêtes à être cueillies. Mange, bois et cesse de pleurer. »

Il n’y a pas ici de sainte famille, de bergerie, de Nazareth, ni même de Joseph. Marie est seule dans le vent chaud du désert. Ce récit sortirait-il de l’imagination débordante d’un de ces Évangiles cachés, qu’on appelle apocryphes ? Point du tout, il s’agit de la version de la nativité présente dans le Coran à la sourate 19 (24-26), consacrée à Marie.

En effet, postérieur de six siècles au début du christianisme, le Coran reprend à son compte deux figures essentielles des Évangiles : Marie et Jésus. Selon la révélation donnée au prophète Mahomet, elles présentent cependant de profondes différences avec le donné évangélique.

Marie dans l’islam

Commençons par Marie. Dans l’islam, elle est non seulement la mère de Jésus, mais aussi la sœur aînée de Moïse. Avec leur plus jeune frère, Aaron, ils ont pour mère la femme d’Imran - dont le Coran ne donne pas le nom. Marie vient au monde miraculeusement. Sa mère espérait que Dieu lui donnerait un garçon, d’où sa déception de découvrir qu’il s’agit d’une fille. Elle appelle l’enfant Myriam (Marie en arabe), qui peut signifier « amertume » ou « élévation de Dieu ».

La sœur de Moïse et la mère de Jésus ne représentant qu’une seule et même Marie, voilà qui a de quoi nous surprendre ! Surtout quand on sait que, selon la Bible, plus de mille trois cents ans séparent Moïse et Jésus. Pour le Coran, cela ne constitue pas un problème. Contrairement à la Bible, où l’accent est mis sur le déroulement linéaire des récits, la narration dans le Coran est morcelée de façon à ne mettre en lumière que les manifestations de Dieu.

Divergences

Les musulmans vouent un véritable culte à Marie
en tant que femme choisie par Dieu pour mettre au monde Jésus. Aux yeux des musulmans, elle incarne, à l’image de Fatima, fille du prophète Mahomet, la femme parfaite. Cependant, après la naissance de Jésus, le Livre de l’islam ne parle plus d’elle. Il n’y a ni équivalent des noces de Cana, ni scène montrant la mère avec son fils. Ainsi, bien qu’elle soit citée 34 fois au fil des sourates, son rôle y est limité.

Pour les chrétiens,
Jésus est à la fois le Fils de Dieu et son incarnation en un homme. Or chez les musulmans, Dieu infiniment transcendant ne peut prendre chair et avoir les préoccupations du commun des mortels. L’idée que Dieu ait un fils est aussi impensable : « Strictement monothéiste, l’islam considère que le plus gros des péchés est d’associer quelqu’un à Dieu », rappelle Mgr Jean-Luc Brunin, évêque du Havre, auteur de Rencontrer l’islam (voir la bibliographie ci-dessous). Jésus n’en est pas moins un prophète essentiel à leurs yeux.
À l’instar de Moïse, de David et de Mahomet, il n’a pas seulement apporté la parole de Dieu, mais un Livre saint.

Certains passages des Évangiles trouvent des résonances dans le Coran. Ainsi, la sourate 5 (114-115), « La table servie », évoque un mystérieux repas. Jésus, le fils de Marie, dit : « Ô Dieu, notre Seigneur, fais descendre du ciel pour nous une table servie. Ce sera pour nous un jour de fête, pour le premier et le dernier de nous, et un signe de Toi. »
Écho du dernier repas du Christ ? Pas vraiment : « II n ’y a pas ici d’annonce de la Passion, ni même la notion de sacrifice. À travers ce miracle, le Coran montre l’importance de l’intercession de Jésus, il représente ce repas miraculeux comme une célébration d’action de grâces » , précise Michel Dousse, auteur de Marie, la musulmane (voir la bibliographie).

Enfin, les musulmans ne reconnaissent pas la crucifixion de Jésus.
Selon eux, ce prophète n’aurait pas connu la mort, comme le précise la sourate 4 (156). « Ils (les juifs) ont dit : "En vérité, nous avons tué le Messie, Jésus fils de Marie, l’apôtre de Dieu. "Mais ils ne l’ont pas tué ; ils ne l’ont pas crucifié : c’était une ressemblance pour eux (…). Ils ne l’ont pas tué, c’est certain ; mais Allah l’a élevé auprès de lui ; parce qu ’Allah est puissant et sage. »
Alain Feuvrier, jésuite et islamologue au Centre Sèvres, à Paris, estime que « c’est là la pomme de discorde entre les musulmans et nous, car en ne reconnaissant pas sa mort sur la Croix, ils nient le cœur de la foi chrétienne ». Comment expliquer ces divergences ? Quelle lumière le Livre de l’islam peut-il jeter sur les Évangiles ?

Une falsification de la Bible

Dans la tradition musulmane, au VIIe siècle, Mahomet reçoit une révélation de Dieu. Lisant ensuite la Bible juive et le Nouveau Testament, il n’y retrouve pas ce qui lui a été insufflé. « Mahomet, tout en admettant que la Bible est révélée, est convaincu que ceux qui en sont dépositaires (juifs et chrétiens) ont été infidèles à leur mission et qu ’il faut s’en tenir à ce que Dieu lui révèle personnellement : là, il est sûr d’être dans la vérité », explique Jean-Marie Gaudeul dans La Bible, 2000 ans de lectures (voir la bibliographie).
De profonds heurts éclatent alors entre les différentes communautés en Arabie, l’islam accusant les récits précédents de « tordre la langue ». Après la mort de Mahomet, la théorie de la falsification se structure : « La Bible, initialement révélée par Dieu, avait ensuite été déformée, falsifiée par les juifs et les chrétiens. Il convenait donc aux musulmans d’affirmer le principe que tous les livres avaient eu une origine divine, tout en refusant de les lire dans leur version actuelle, supposée altérée », affirme Jean-Marie Gaudeul.

En ne sélectionnant dans les Évangiles que certains traits pour élaborer les figures de Marie et de Jésus, l’islam fait ressortir en définitive le caractère unique de la foi chrétienne : Dieu peut habiter un corps humain et sa nature propre (divine).

MARION TOUBOUL
dans « La Vie » Hors-série intitulé « Les énigmes de la Bible »

Bibliographie

  • Marie, la musulmane de Michel Dousse, Albin Michel, 2005
      La Bible, 2 000 ans de lectures, dir.J.-CEslin et C. Cornu, Desclée de Brouwer. 2003.
  • Rencontrer l’islam,de Jean-Luc Brunin, Les Éditions de l’Atelier, 1993.

Une conférence du Père François Varillon sur l’islam

2e partie de cette conférence

3e partie de cette conférence

4e partie de cette conférence

5e partie de cette conférence

6e et dernière partie de cette conférence

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