De nos jours, les hommes sont sans cesse sollicités par des multitudes d’images sonores ou visuelles (télévision, publicité, ordinateur, magasins sonorisés, walkman…) qui les projettent en dehors d’eux-mêmes. Si le silence leur est brutalement imposé, par exemple lors d’un séjour en prison ou à l’hôpital, il peut engendrer de véritables souffrances pouvant aller jusqu’au délire.
Mais, à l’inverse, celui qui ose descendre dans ses propres abîmes peut faire la rencontre de Celui qui est à l’origine de tout. N’est-il pas paradoxal de constater qu’un séjour en prison ou à l’hôpital, lieux de souffrance, peut permettre à certains êtres de faire l’expérience décisive de l’intériorité, la découverte de leur cœur profond ?
L’hésychasme est une manière, de vivre en bon équilibre les temps de la contemplation et les temps de l’action. L’Évangile engage une méditation sur ce thème dans l’épisode de Marthe et Marie. Jésus ne reproche nullement à Marthe de veiller à la bonne tenue de sa maison. Mais Marie a eu la meilleure part, car lorsque le Maître est là il est bon de cesser de vaquer aux soins du ménage pour écouter sa parole et contempler sa beauté. Le dialogue futur où Jésus se présente à Marthe comme celui qui est la résurrection, montre qu’il sait mettre en relief la capacité contemplative de cette activiste des soins domestiques.
Dans une généralisation qui, comme toutes les généralisations pèche par excès, le père Serge Boulgakov écrit que l’Eglise catholique a reçu le don de l’organisation de la vie sur terre et l’Eglise orthodoxe celui de la contemplation de la beauté du monde spirituel. Même s’il s’agit de tendances générales, en réalité l’un ne va pas sans l’autre.
« Si tu sais prier tu es théologien, et si tu es théologien tu sais prier »,
affirmait Evagre le Pontique soulignant par ces mots comment les temps de la contemplation — prier — alternent avec ceux de l’action — faire de la théologie. Les uns et les autres se prêtent mutuellement main-forte, l’expérience spirituelle venant en premier, pour laisser place ensuite à l’agir.
Michel Evdokimov : Ouvrir son cœur p. 98