Le deuxième pilier sur lequel s’est fondée, pendant quatre siècles, la modernité occidentale, c’est la science expérimentale et ses applications. On sait de quelle façon elle a contribué, au fil des siècles, à infléchir l’histoire des hommes, à transformer la terre, à changer la vie.
Que reste-t-il de cette suprématie ? Pas grand-chose. Dévoyée en « technoscience » , et soumise aux impératifs prioritaires du marché, l’ancienne quête de connaissance a changé de nature. Elle n’obéit plus aux règles anciennes de la gratuité imaginative et de la validation académique. Elle procède d’un utilitarisme à courte vue. Le gain escompté l’emporte sur la soif de découverte. Ce qu’on trouve n’est plus vraiment destiné à l’ensemble de la communauté des hommes. La mise sous brevet de chaque « trouvaille » aboutit à privatiser la recherche scientifique, tout en formatant ses programmes, afin qu’ils conviennent aux calculs des financiers. Une découverte n’a de sens que si elle trouve un marché. La « connaissance » devient strictement instrumentale, partie prenante de cette dictature sans dictateur qui régit la marche du monde.
J. C. Guillebaud : Le commencement d’un monde ( p. 113)