Grâce à la construction d’accélérateurs toujours plus performants, grâce aux progrès de la science nucléaire, on pouvait donc aborder la question de l’origine des éléments chimiques. D’où viennent les atomes de carbone, d’oxygène, de fer, d’uranium, etc., qui se trouvent aujourd’hui sur la Terre et dans les étoiles ? Où se sont-ils formés ? Par quels phénomènes se sont-ils multipliés jusqu’à atteindre leur population actuelle ?
C’est à Fred Hoyle que nous devons la théorie dite de la « nucléosynthèse stellaire ». L’hydrogène, omniprésent dans les étoiles, est la brique fondamentale de la formation des atomes. Les éléments chimiques se construisent à l’intérieur des étoiles à partir de la combinaison des protons (noyaux d’hydrogène). Ainsi, par des phases d’associations successives, s’élaborent des noyaux atomiques de plus en plus complexes, du carbone et de l’oxygène jusqu’aux plus massifs comme le plomb, l’uranium et le thorium.
Restait à élucider la séquence chronologique des phénomènes stellaires responsables de l’apparition de ces différents atomes tout au long de la vie de l’étoile. Notre Soleil, comme la majorité des étoiles de notre ciel, obtient l’énergie qui lui permet de briller par la transformation de son hydrogène en hélium. Que se passera-t-il quand, dans 5 milliards d’années, il aura épuisé son hydrogène ?
En 1952, Fred Hoyle et Ed Salpeter avaient chacun de leur côté suggéré la phase suivante : son cœur se réchauffant, l’étoile devient une géante rouge. À des températures de quelques centaines de millions de degrés, l’hélium, cendre de l’hydrogène, entre lui-même en combustion et se transforme en carbone et oxygène .
Une analogie s’imposait à moi entre la nucléosynthèse et l’évolution biologique. Au siècle précédent, Darwin avait montré la continuité de la vie terrestre, de l’amibe jusqu’aux animaux supérieurs. L’astrophysique nous racontait l’évolution des atomes, de l’hydrogène initial jusqu’à l’uranium. Or les organismes vivants, bactéries ou êtres humains, sont constitués d’atomes, générés lors des événements stellaires, qui prennent ainsi tout naturellement leur place dans la préhistoire de la vie. L’astronomie rejoint la biologie. Le ciel et les étoiles ont joué un rôle dans l’avènement de notre existence. Antarès la rouge, que je retrouvais chaque été, au sud, dans la constellation du Scorpion, fabrique en ce moment des atomes de carbone et d’oxygène identiques à ceux dont mon corps est composé.
Hubert Reeves : « Je n’aurai pas le temps » p. 111