Quel est votre point de vue personnel sur ces questions de la sexualité ?
Pouvez-vous, en tant que théologien, aider les gens à s’orienter ?
« Le don de soi est la clé de l’amour »
Pour moi, un point est d’une importance capitale : le don de soi est la clé de l’amour. L’homme a pour vocation de dépasser sa propre personne. Ce qui signifie être présent pour les autres et dépendre d’eux. Mais le don de soi concerne aussi la transcendance. Nous pouvons accéder, à partir d’un certain niveau, à un niveau supérieur.
L’amour conjugal comporte cette dynamique fondée sur le caractère animal de l’homme et sur la reproduction de l’espèce ; cependant, il a un but. La transcendance mène, en passant par l’amitié et le partenariat, par la protection des faibles et par l’éducation, vers le royaume de Dieu.
À travers le don de soi, les humains s’ouvrent à Dieu. C’est vers ce but que nous tendons dans la rencontre physique. Regarder le but est plus important que de se demander si cela est permis ou si c’est un péché. La sexualité possède une dynamique propre qui ne te permet pas d’être satisfait de ce que tu as atteint. Tu te détruis toi-même et tu détruis la relation si tu demeures où tu es. C’est la transcendance dans la rencontre, la croissance de l’amour physique et spirituel, que Paul a en vue lorsqu’il dit : Le corps n’est pas là pour la luxure, mais pour Jésus-Christ. […]
« Ni les illusions ni les interdictions ne permettent d’obtenir une avancée positive ».
Aucun évêque ni aucun prêtre n’ignorent aujourd’hui que les relations sexuelles entre les deux personnes d’un couple existent avant le mariage. Nous devons ici changer notre façon de penser si nous voulons protéger la famille et encourager la fidélité conjugale. Ni les illusions ni les interdictions ne permettent d’obtenir une avancée positive. […]
"Ce qui est déterminant, c’est que nous fassions progresser les individus chrétiens dans leur capacité de jugement."
À l’heure actuelle, il me semble qu’il n’est pas opportun d’essayer de formuler ici des réponses d’une validité générale. Je rappelle toujours un principe pastoral ou psychologique de base : les réponses ne tombent sur un sol fertile que lorsque, au préalable, une question se trouve mise sur la table et que j’ai pu auparavant observer ou écouter. Surtout en ce qui concerne ces questions profondément humaines que sont la sexualité et les problèmes du corps, il ne s’agit pas de trouver des recettes, mais des chemins qui commencent par les hommes et qui mènent plus loin. Selon un médecin célèbre, beaucoup de gens font preuve d’une « ignorance innocente » en ce domaine. Nous ne pouvons pas demander aux enfants et aux jeunes tout ce qui serait idéal. Ils trouveront leur chemin progressivement. Ces chemins ne peuvent pas être dictés du haut d’un bureau ou d’une chaire d’enseignement. La hiérarchie de l’Église est déchargée lorsqu’elle écoute et fait confiance au dialogue avec la jeunesse. Ce qui est déterminant, c’est que nous fassions progresser les individus chrétiens dans leur capacité de jugement.
"Nous sommes renvoyés à notre propre responsabilité et au discernement des esprits"
En définitive, cependant, l’Église peut et doit se référer à la Bible. Or la Bible apparaît très limitée dans ses affirmations sur la sexualité, et ce d’une manière frappante. Elle trace une ligne nette vis-à-vis de l’adultère : il est absolument interdit de faire irruption dans un couple étranger. La Bible est également très explicite pour ce qui est de la violence vis-à-vis des femmes : celle-ci est interdite. Jésus place au centre les enfants et tous ceux qui ont besoin de protection. C’est par la façon de les traiter qu’une société montre la mesure de son humanité. Abstraction faite de ces lignes nettes que dessine la Bible, nous sommes renvoyés à notre propre responsabilité et au discernement des esprits.
"Une évolution positive a eu lieu dans l’Église pour la compréhension de la sexualité"
Nous ne devons pas ignorer cependant qu’une évolution positive a eu lieu malgré tout dans l’Église pour la compréhension de la sexualité. Autrefois, on l’avait regardée d’une manière très étroite, c’est-à-dire comme exclusivement orientée vers la procréation. Les théologiens moralistes ont parlé de finis primarius, de la finalité première de la sexualité. Là encore, le concile Vatican II a créé un horizon beaucoup plus large et a délibérément accordé la même importance au partenariat et à l’amour réciproque des partenaires.
Carlo Maria Martini, Le rêve de Jérusalem, DDB 2009, page 147 et suivantes