En dénonçant le « schéma chrétien » qui encombre nos cerveaux, le penseur athée met en lumière la révolution mentale instaurée par le christianisme.
II y a quelques semaines, Michel Onfray présentait sur une station de radio (le 21 octobre dans un monde d’idées sur France Info, ndlr) sa dernière publication, le Magnétisme des solstices, cinquième volume de son Journal hédoniste (Flammarion). Le journaliste qui l’interrogeait lui faisait remarquer que ce livre manifestait une véritable détestation du christianisme et transpirait de hargne envers l’Église, alors même que l’influence de celle-ci avait considérablement diminué dans notre pays. Notre philosophe a répondu ceci :
« Ce n’est pas parce que les églises sont vides que les têtes sont vidées du christianisme. (…) Dans les tribunaux, dans les hôpitaux, dans les écoles, le schéma chrétien fonctionne encore. Vous n’avez pas de crucifix dans les tribunaux. (…) Sauf qu’on y part du principe que nous sommes libres, que nous avons le choix. Si nous avons un jour violé une petite fille, c’est que nous avions le choix. Nous avons choisi le mal. Nous partons donc du principe que nous sommes libres, que nous avons un libre arbitre, que nous sommes responsables, que nous sommes donc punissables. C’est un schéma sur lequel on ne revient pas. Et c’est un schéma chrétien. »
Par quel système remplacer le christianisme ?
J’ai regretté, à ce moment-là, que le journaliste ne pousse pas Michel Onfray dans ses retranchements pour lui dire, par exemple, ceci :
- Si vous considérez que la justice est chrétienne parce qu’elle suppose que nous sommes libres et donc responsables de nos mauvaises actions, par quel système voulez-vous remplacer le christianisme ?
Dans votre système à vous, que faites-vous des gens qui ont assassiné, violé ou torturé une victime ? - Si personne n’est libre ni responsable, que peut faire la société vis-à-vis de tels agresseurs ? Faut-il les envoyer en camp de rééducation ? Faut-il les « reformater », comme on disait naguère pour nos disquettes d’ordinateur ? Faut-il réinitialiser leur ADN, qui serait simplement mal combiné ?
- Ou bien devons-nous laisser les gens les abattre comme des bêtes nuisibles, car incapables de discernement ?
Ces questions sont passionnantes en elles-mêmes. Michel Onfray, d’ailleurs, y a peut-être déjà répondu. Il me pardonnera de n’avoir pas lu toute son œuvre : 50 livres, ça fait beaucoup pour mon emploi du temps ! J’attends un Que sais-je ? sur Michel Onfray, si tant est que quelqu’un arrive à résumer un auteur aussi prolixe.
Une conception chrétienne de la personne
L’explication radiophonique de Michel Onfray sur les tribunaux nous rappelle en tout cas que l’évangélisation de notre pays ne concerne pas simplement la pratique religieuse visible. Elle entraîne avec elle une vision du monde et une conception de la personne humaine. En un mot : tout un socle anthropologique.
- Le christianisme a opéré, partout où il a été annoncé, une véritable révolution mentale et spirituelle.
- Il a modifié les rapports entre les personnes, et permis l’émergence de tout un système de valeurs où la liberté, la responsabilité et la dignité de la personne sont devenues des notions centrales.
Beaucoup de philosophes l’ont dit et écrit. De Hegel à Paul Ricœur, la liste en serait longue.
Quid de la démocratie sans libre arbitre ?
Mais alors, si la société française devient amnésique de l’Évangile et retourne au paganisme, comme le souhaite Michel Onfray, que deviendront la liberté, la responsabilité et la dignité des personnes humaines ?
Qu’adviendra-t-il alors de la possibilité même de la démocratie ? Car elle suppose, par principe, des citoyens libres et responsables, capables de se prononcer "en leur âme et conscience », comme le manifeste le passage par l’isoloir au moment du vote.
J’espère donc que les provocations de Michel Onfray permettront à tous les catholiques de notre pays, et à d’autres aussi, de se ressaisir. Qu’ils osent penser à contre-courant des facilités qui font aujourd’hui la loi dans la sphère médiatique la plus bruyante de notre pays. Car il serait vraiment dommage de recevoir comme un reproche ce qui constitue, en réalité, un très bel hommage rendu au christianisme !
HIPPOLYTE SIMON né en 1944, est archevêque du diocèse de Clermont (Puy-de-Dôme) depuis 2002 et fut vice-président, de 2007 à 2013, de la Conférence des évêques de France. Il a notamment publié Chrétiens dans l’État moderne. Comment peut-on être chrétien « après » Marx et Hegel ? (Cerf, 2012).
LA VIE, 5 décembre 2013 p. 40