Fr. Varillon : Eviter le contresens des Béatitudes

On a pris la déplorable habitude d’isoler les Béatitudes de ce qui les suit.

On a pris la déplorable habitude d’isoler les Béatitudes de ce qui les suit, comme si ces Béatitudes étaient un tout se suffisant à lui-même et ayant valeur en soi et par soi.

Il arrive même que, dans l’esprit de certains chrétiens, Béatitudes et Discours sur la Montagne soient synonymes, comme si le Discours était les Béatitudes. En réalité, celles-ci font à peine dix lignes tandis que celui-là s’étend sur trois longs chapitres de l’Evangile selon saint Matthieu.

Cette habitude conduit fatalement à un contresens

Cette habitude de séparer les Béatitudes de tout ce qui suit est déplorable, parce qu’elle conduit fatalement à un contresens radical sur la pensée de Jésus. Comme si le message évangélique consistait à affirmer que ce qui était noir est soudain redevenu blanc ! Comme si le malheur (misère, larmes, faim) devait désormais s’appeler le bonheur ! A la limite on en vient à sacraliser au nom du Christ le mal et la souffrance et, du même coup, à décourager tout l’effort humain pour en triompher : ne rendez pas les gens riches puisque Jésus a dit : ce sont les pauvres qui sont heureux ! On aboutit à demeurer passif et résigné devant le malheur des hommes, parce que Jésus aurait dit que le malheur est, selon lui, le bonheur.

Pas question de sacraliser la misère

Le contresens a été fait, nous sommes en train de payer des fautes qui ont été commises, on a interprété les choses comme cela. Péguy a là-dessus des pages d’une violence inouïe dans son livre intitulé Jean Coste. Pas question de sacraliser la misère, pas question de dire aux pauvres gens qui n’ont pas de quoi boucler leur budget à la fin du mois : Ne vous tracassez pas, Jésus déclare que vous êtes heureux parce que vous êtes malheureux ! Si les Béatitudes nous proposaient une consolation vulgaire, le christianisme serait dolente et larmoyante. Le vrai, c’est que nous rêvons d’un bonheur au rabais fait de joies faciles. C’est ce rêve que Jésus vient condamner, et ce qu’il propose (voilà le mot essentiel) c’est que notre appétit de bonheur soit lui-même transformé. Heureux, bienheureux ceux dont l’âme est assez haute pour que leur désir essentiel soit de vivre comme des fils du Père qui est dans les cieux !

La pauvreté, les larmes, la faim, la persécution ne sont donc pas
des conditions pour être heureux

La pauvreté, les larmes, la faim, la persécution ne sont donc pas des conditions pour être heureux de ce bonheur qu’apporte Jésus. Le malheur n’est pas une sorte de préalable, comme s’il était nécessaire de pleurer et d’avoir faim pour connaître la vraie béatitude. Le Père Guillet a écrit ces phrases, à mon sens décisives :
« La misère, la captivité, la faim, les larmes demeurent pour Jésus les aspects divers du malheur de l’homme ; s’il proclame heureux ceux qui en sont frappés, c’est qu’il vient les en délivrer …
L’originalité de l’Evangile ne consiste pas à affirmer que ce qui était noir est soudainement devenu blanc, mais à offrir à ceux qui sont dans le malheur une issue nouvelle et bienheureuse. »

(J. Guillet, Jésus devant sa vie et sa mort, Aubier, 1971, p. 89)

François Varillon, extraits de ses conférences
cf « Joie de croire, joie de vivre », p. 56

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