Il lui semblait [à Héléna] que, si Dieu voulait se proposer aux hommes il n’aurait pas recours à la stupeur, ni même à l’admiration (si du moins celle-ci était trop soudaine), mais il s’insinuerait par des signes à demi clairs, par des murmures, disait-elle encore plus que par des voix.
La manière de saint Luc
Elle préférait de ce point de vue la manière de Saint Luc à celle de saint Marc dans le récit des mêmes événements. La merveille (et certes il faudrait bien qu’à un moment cette merveille parût) ne devait pas faire irruption dans l’existence des hommes mais se présenter comme une conclusion lentement nécessaire, semblable à ses sources qu’on discerne à peine dans nos campagnes, sauf par l’abondance et la verdeur des prés.
Le miracle d’Emmaüs
Et je crois que, pour ses esprits trop tendres, exigeants et farouches (et peut-être, disait Héléna, trop exigeants, car ce qu’il demande là est beaucoup plus difficile à faire), le miracle qu’ils préféreraient serait celui d’Emmaüs. On y voit une lumière qui croît au milieu des causeries ordinaires, un repas pris en commun au crépuscule et le moment de Dieu dans un geste furtif, dans un départ.
(extrait de « Jésus » de Jean Guitton p. 208 ).
« Signes par milliers, trace de ta gloire .. ».
Mon cœur ? - je préférerais dire : mon esprit au travail. Mais le cœur, c’est bien cela. Et d’ailleurs, le cœur, ainsi défini, n’a pu exister en moi que par le Christ. C’est le Christ qui, sur cette planète, a communiqué à l’esprit pur des Grecs et à l’esprit dur des Juifs cette finesse au travail qui donne du sang et de l’intelligence et qui est ce qu’on appelle le cœur.
Et je vous dirai encore que, pour me permettre d’accéder à l’intelligence d’un vrai miracle, comme est par exemple la multiplication des pains, je préfère m’habituer le regard par la réflexion sur des miracles purs comme je les nomme, qui ne sont au fond que des rencontres extrêmement improbables. Jésus a besoin de payer l’impôt de didrachme. Il dit à Pierre : « Jette ton filet ». Dans la bouche d’un poisson qui passait par là on trouve ce didrachme. Rien dans la nature n’est dérangé là-dedans. C’est le croisement de deux fils de destinée. Je reconnais le même genre de miracle que lorsque Eliezer rencontre près du puits de Nachor la femme qui désaltère ses chameaux : c’était justement Rebecca, la seule entre toutes les femmes qui convînt à Isaac.
Ce genre de miracle, qui n’offusque pas et qui éclaire intimement, dans mon existence (sans avoir à vous dire mes secrets), je l’ai connu plusieurs fois. Ces rencontres silencieuses qui sont ordinaires, et explicables et qui pourtant sont comme une parole moi seul prononcée, je les devine sans effort d’imagination parce cette partie de cœur ou d’esprit qui me permet de comprendre Shakespeare et l’Evangile."
(extrait de « Jésus » de Jean Guitton p. 176, Grasset, 1956 )
Les titres intermédiaires et la séparation en différents paragraphes pour faciliter la compréhension ne sont pas de l’auteur.