J’ose le dire : j’ai évolué. Me suis-je « rallié » ? C’est à voir.
D’abord, cette fameuse « institution » catholique si souvent évoquée de manière abstraite, j’ai fini par la voir de près, la rencontrer, la côtoyer même. On m’a invité et reçu dans des milieux dont j’ignorais à peu près tout auparavant. Je comprenais mal, au départ, pourquoi on m’y conviait, moi le « presque chrétien ».
J’ai fréquenté des départements universitaires de théologie, des abbayes, des instituts confessionnels et des communautés juives et protestantes où l’on sollicitait ce témoignage venu « de l’extérieur ».
En répondant à ces demandes, je craignais de frôler la tricherie. Qu’avais-je donc à dire d’important dans ces assemblées où l’on en savait plus que moi ? Je m’acquittais de ma tâche, sans taire ni mes doutes, ni mes tâtonnements, ni mes ignorances. Je parlais de mon travail. J’énumérais ce que j’avais cru redécouvrir en faisant l’inventaire de ce que j’appelais prudemment notre héritage biblique, qu’il soit juif ou chrétien. Et je disais l’émerveillement naïf qui m’habitait certains jours.
Toutes ces rencontres et tous ces dialogues improvisés ont peu à peu transformé le regard que je portais sur les institutions religieuses elles-mêmes.
Oui, c’est d’abord de regard qu’il faut parler. Je découvrais des communautés vieillissantes mais obstinées dans leur ferveur. J’entrais dans des maisons diocésaines ou des monastères réduits à la survie, mais plus attentifs au monde du dehors que je ne l’imaginais. On me logeait sur place. Je garde le souvenir de couloirs vides, et cloîtres déserts, de chapelles sonores, de chambres au parquet grinçant.
À Saint-Jacut-de-la-Mer, en Bretagne, à Montpellier, à Nevers, à Toulouse ou à Maredsous en Belgique, je rencontrais des prêtres ou des religieuses qui jetaient toutes leurs forces dans le sauvetage de la « maison commune ». Je voyais des curés de campagne courant les routes pour assurer une présence dans des paroisses où les cloches ne sonnaient plus. Je déjeunais avec des évêques sans le sou. Je croisais des sœurs très âgées mais qui gardaient un sourire de petite fille. Tout cela était très doux et très étrange.
J.C. Guillebaud, « Comment je suis redevenu chrétien » p. 130