Je suis le Dieu caché. La trace éclatante de la réalité de l’esprit, je l’ai laissée dans le temps. Parce que les hommes vivent dans le temps, ils sont plongés dans mon mystère. Ils ne disposent pas de ses clés, mais au moins savent-ils - sauf à se boucher les yeux - que leur vie est une énigme dont ils ont à chercher la réponse.
Ils l’ont cherchée, cette réponse, ils la chercheront tout au long de ce temps dont est fait l’univers. Et ils ne l’ont pas trouvée. Et ils ne la trouveront pas. Penser le monde est une tâche infinie. Penser le temps est tout aussi inépuisable. Parce que le temps est l’étoffe de l’univers.
Au début de votre tout, quand le temps va surgir de l’explosion primitive, le passé n’existe pas. Il n’y a que de l’avenir. L’histoire ne commence pas avec le souvenir, elle commence avec la promesse. Il n’y a rien à se rappeler, il y a tout à espérer. La première catégorie de la conscience historique, ce n’est pas le souvenir, c’est l’annonce, l’attente, la promesse. À mesure que le temps passe et que l’univers se développe à partir de la pointe d’épingle, l’immense avenir se restreint, la promesse se change en souvenir et le passé se gonfle. L’univers est une machine à créer du passé.
L’univers est une machine à créer du passé.
À l’origine, l’avenir est tout et le passé n’est rien. À la fin, il n’y aura plus d’avenir et le passé sera tout. L’histoire n’est rien d’autre que le combat entre le passé et l’avenir autour d’un présent toujours là et pourtant toujours absent. Dans cette lutte sans fin apparente, l’avenir s’avance comme la puissance dominante qui ne cesse jamais de l’emporter, avec ses ressources toujours nouvelles et qu’on dirait sans fin, sur un passé qui bat en retraite et qui ne sait rien faire d’autre que tomber dans le souvenir. Mais le vainqueur, en fin de compte, sera le passé, appuyé sur la mort. Un jour viendra, ou une nuit, où l’avenir assiégé, épuisé, à bout de forces, sera contraint de se rendre avec armes et bagages au passé triomphant. Votre tout ne sera plus alors que son propre passé.
J. d’Ormesson : « La création du monde » p. 104