Le catholicisme retrouva donc officiellement la situation morale qu’il avait avant 1789. L’état civil cependant ne lui fut pas rendu, et nombre de curés s’en indignèrent, mais, pour le reste, ils n’avaient pas à se plaindre. Non seulement les églises étaient rouvertes évidemment, au culte, mais les ordonnances Beugnot imposèrent l’observation du dimanche, rétablirent les processions dans les rues, en même temps qu’elles supprimaient le divorce et créaient l’aumônerie des armées.
Les « Missions » se développent
En toutes circonstances, les autorités marquèrent au clergé le plus grand respect : les évêques prirent le pas sur tous dans les cérémonies, et se montrèrent partout en grande tenue. Les Missions, qu’on allait voir se développer, prirent le caractère d’une institution publique. L’ouverture en était marquée par une procession en tête de laquelle marchait un piquet de cavalerie, et que suivaient toutes les autorités civiles et militaires. Des salves d’artillerie accompagnaient le chant des cantiques. Et, bien entendu, pour ne pas être en reste de politesse, les missionnaires ne manquaient pas une occasion d’associer à la ferveur religieuse des foules la ferveur politique, mêlant de façon bien étrange le culte du vieux roi podagre à celui de la Sainte Vierge, faisant chanter des cantiques du genre de : « Toujours en France, les Bourbons et la Foi » et, en organisant des cérémonies de « réparation » aux chapelles profanées, aux tombes des martyrs de la Terreur, profitaient de l’occasion pour célébrer « Louis XVI et Louis XVII, rois martyrs », « l’auguste Marie-Antoinette » et « l’inimitable Madame Elisabeth ». Il advint plusieurs fois que ces élans d’enthousiasme collectif aboutissent à des brimades infligées à d’anciens curés jureurs ou d’ex-jacobins jugés mal repentis…
« Une tentative de domestication des consciences »
Car, comme il arrive toujours lorsque l’Église est trop associée au pouvoir, cette remise en honneur du catholicisme, excellente en soi, fut associée à une tentative de domestication des consciences sur laquelle il faut faire les plus grandes réserves. Il est toujours bien tentant, pour les pouvoirs religieux, d’utiliser les moyens que les autorités laïques leur fournissent pour faire triompher leur cause, ou ce qu’ils croient l’être. Au clergé de la Restauration, la pression officielle ne parut pas indigne de sa mission spirituelle. Et, bien entendu, les pouvoirs laïcs emboîtèrent le pas. La liste serait longue des faits, grands et petits, qui caractérisent alors cet état d’esprit. Pour être admis fonctionnaire, - même simple cantonnier, - il fallait fournir une attestation de pieux devoirs. Avant d’être autorisés à se présenter au concours, les candidats à l’École Polytechnique étaient désormais interrogés sur leurs convictions religieuses.
A Strasbourg, le Général, sur la demande de l’Evêque, invitait officiers et soldats à suivre les exercices du Jubilé, puis, voyant qu’ils y mettaient un empressement modeste, leur commandait de s’y rendre en rangs, par bataillons ! Au besoin, on avait recours à la manière forte. A Clermont-Ferrand, des gendarmes, suspects de ne pas pratiquer, étaient menacés de destitution ; à Amboise, trois jeunes carabiniers qui n’avaient pas salué une procession étaient jetés en prison. Certains évêques ordonnèrent d’attacher à la porte des églises la liste des mauvais catholiques qui ne venaient pas à la messe, et de tenir dans les sacristies… le registre des concubins notoires ! Certains curés même n’hésitèrent pas, çà et là, pour ramener des ouailles indociles à la bergerie, à utiliser les plus frappants des arguments, qu’ils trouvèrent dans leur bûcher…
Bien entendu, l’action sur les esprits alla de pair avec l’action sur les consciences.
Dans les écoles, où Napoléon avait introduit une discipline très militaire, on garda ses méthodes, en les cléricalisant : au lieu de se réveiller et de manœuvrer au tambour, ce fut à la cloche que les lycéens obéirent, et messe et complies s’ajoutèrent à leur programme. Les maîtres de l’enseignement supérieur qui donnaient dans l’irréligion, ou simplement dans un certain anticléricalisme, furent expulsés de leur chaire : tel Guizot. On interdit, au théâtre, la représentation des pièces jugées offensantes pour la morale chrétienne ou pour l’Eglise : on alla, sans rire, jusqu’à expurger Athalie ! Et le Journal des Débats, inquiet de voir les œuvres de Rousseau et de Voltaire se vendre par milliers d’exemplaires, suggérait que l’État se déclarât héritier de ces deux malfaisants auteurs, afin de détruire leurs œuvres et d’interdire les rééditions !
D. Rops
L’Eglise sous la Restauration (P. 283)